« Laudato si’ » ou laudato solde

par | 1/01/2020

 

En ce moment on fait les soldes : il reste sans doute chez l’homme un fond préhistorique de chasseur, cueilleur, ramasseur, découvreur, qui aujourd’hui s’incarne dans cet épisode de la marchandisation du monde. A l’ouverture des soldes, on se précipite dans la jungle du chacun pour soi, on se piétine, on s’arrache, on se chamaille pour emporter l’affaire de l’année, croit-on…

Les plus âgés d’entre nous ont connu la séquence de Jean Mineur qui présentait, quand on pouvait aller au cinéma, les « réclames » vantant simplement les avantages d’un produit. Depuis quelques années nous vivions la période des soldes d’hiver et de printemps, les foires au vin à l’automne, puis le mois du blanc etc… Mais ce rythme annuel ou saisonnier s’est trouvé perturbé par les « promos » en tout genre et en tout temps. Enfin aujourd’hui ce sont les jours à ne pas rater, les « blacks days », les « stars days » venus des USA. Le temps se reserre, renforcé souvent par des alertes, en forme de compte à rebours, pour attiser les désirs de l’acheteur : « vous n’avez plus que quelques heures pour… ». La tentation d’acheter devient d’une urgence urgente pour trouver ou conclure l’affaire en or.

Deux questions nous sont alors posées.

Première question : quel est le prix « normal » des choses ? Le même article passe en un jour à 50% moins cher, certains catalogues offrent même, dès le début de la saison, des réductions de 40 % ; une concurrence entre les enseignes et les marques fait proposer des prix toujours plus bas. Certaines marques font fabriquer les produits, soi disant soldés, avec une qualité moindre. Et l’acheteur, méfiant sur les marges du vendeur, attend les soldes pour payer, pense-t-il, le prix réel. On joue au plus malin.
Deuxième question : quelle est la valeur du travail de l’homme et de la femme, et parfois même de l’enfant, dans l’univers marchand ? Quand, par exemple, un tee shirt est proposé à 1€, comment le travail pour obtenir sa matière première, le fabriquer, l’acheminer, comment ce travail est-il considéré, honoré et, en conséquence, rémunéré ? Certains prix ne sont plus en rapport avec leur article ; pour le vendeur le prix à proposer est plus important que l’objet vendu et le travail humain pour le fabriquer devient alors méprisable. Et l’acheteur finit par acheter un prix intéressant et non pas le produit qui va avec, dont souvent il n’a pas besoin ou qui ne convient pas. Ainsi on accumule, on gaspille et finalement on se débarrasse…

Le climat est perturbé par des modèles de production intensive, le travail aux conditions de plus en plus agressives détruit le lien social, la planète est abîmée par l’accumulation des déchets qu’elle ne peut plus absorber et le lien vendeur-acheteur se corrompt et favorise une perte d’humanité. Et tout cela atteint plus ou moins directement la fragilité des équilibres menacés d’un monde qu’il est urgent déjà de réparer en partie pour protéger ce qui peut l’être encore. Le pape François dans sa lettre encyclique « Laudato si’ » insiste pour dire que « tout est lié » : « Si nous ne parlons plus le langage de la fraternité et de la beauté dans notre relation avec le monde, nos attitudes seront celles du dominateur, du consommateur ou du pur exploiteur de ressources, incapable de fixer des limites à ses intérêts immédiats ».

Alors que faire ? Il y a bien des associations aujourd’hui dans lesquelles on peut s’engager mais on peut aussi personnellement exercer une légitime résistance, et commencer par ne pas participer aux soldes et le faire savoir.
À nous de choisir …

 

Catherine Decout, janvier 2020