Sermon de l’ordination diaconale de Sylvain Moreno

par | 20/07/2022

 

Homélie donnée par Mgr Jean-Marc EYCHENNE

pour l’ordination diaconale de Sylvain MORENO, le 10 juillet 2022

en la cathédrale saint Antonin de Pamiers

Chers amis,

Notre Église diocésaine est à nouveau en fête. L’an dernier, pratiquement à la même époque, nous avions célébré l’ordination diaconale de notre frère Xavier, et nous voilà une nouvelle fois rassemblés pour accueillir ce don du ministère diaconal que Dieu fait à son Église. À l’Église Diocésaine de Pamiers mais aussi au Diocèse aux Armées Françaises.

Merci à Monseigneur Antoine de ROMANET, avec nombre de ses collaborateurs, de s’être joint à nous, puisque la mission diaconale qui sera tout d’abord confiée à notre frère Sylvain, sera une mission dans son diocèse.

L’Évangile qui vient d’être proclamé – celui de la Parabole du Bon Samaritain – est tout à fait adapté à l’évènement qui nous rassemble. Il est si porteur, au sens littéral, de l’appel au service des plus pauvres et des plus blessés, qu’il ne nous a pas semblé indispensable d’en faire aujourd’hui un commentaire. Je vous propose plutôt de nous arrêter sur quelques points, fruits de ma méditation de ces derniers jours à l’approche de cette ordination.

1 – Ce que nous célébrons, c’est d’abord Dieu, et son ardent désir.

2 Dieu veut pour nous la persévérante chasteté de son Fils Jésus.

3 – Dieu, pour son Église, veut un diaconat qui ne soit pas simplement un passage, mais un socle de fondation de notre vie ministérielle.

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1 – Le Pape François nous a adressé, le 29 juin, une magnifique lettre sur la liturgie, en nous invitant à accueillir le désir de Dieu. Elle s’intitule « J’ai désiré d’un grand désir ». Ce titre reprend le récit de la Cène, au chapitre 22ème de l’Évangile de Luc, dans lequel le Christ s’exprime ainsi : « j’ai désiré d’un grand désir manger cette pâque avec vous avant de souffrir ».

Quand nous célébrons une liturgie, quelle qu’elle soit, ce ne sont pas ces personnes que nous sommes, et la réalisation de leurs attentes, que nous célébrons. Ce que nous célébrons, ou plutôt Celui que nous célébrons, c’est toujours Dieu lui-même. Le cœur de notre attention, de notre action de grâce, c’est le désir de Dieu, un désir qui se fait opérant. Dieu nous adresse des appels, il attend que nous mettions nos pas à la suite des siens, et sa joie est de constater que, par sa grâce, certains répondent à cet appel. C’est cela qui est le motif premier de notre louange. Oui, toute liturgie, y compris celle d’aujourd’hui, nous invite à célébrer le désir opérant de Dieu.

J’ai « désiré d’un grand désir » est une locution superlative. La langue hébraïque, pour rendre le superlatif, passe par la répétition des mots, (saint-saint-saint ; cantique des cantiques ; en vérité-en vérité ; amertume amère). « J’ai désiré d’un grand désir » veut donc exprimer le désir le plus intense de Dieu. Son souhait le plus cher semble bien être que nous soyons là, avec Lui, et que nous nous émerveillons des dons qu’il nous accorde ; des dons qu’il fait à son Église.

Dans le numéro 11 de cette lettre apostolique, le pape François nous dit ceci : « Nous avons besoin de Lui. Dans l’Eucharistie et dans tous les Sacrements, nous avons la garantie de pouvoir rencontrer le Seigneur Jésus et d’être atteints par la puissance de son Mystère Pascal. La puissance salvatrice du sacrifice de Jésus, de chacune de ses paroles, de chacun de ses gestes, de chacun de ses regards, de chacun de ses sentiments, nous parvient à travers la célébration des sacrements. »

Oui, aujourd’hui la puissance salvatrice de Dieu nous parvient à travers la célébration du sacrement Pascal de l’Eucharistie, comme à travers la célébration du sacrement de l’ordre dans son premier degré (le diaconat). Dieu vient nous rejoindre et nous donner son salut. Alors c’est l’action de Dieu pour le Corps du Christ qu’est l’Église que nous célébrons, le destinataire de ce don c’est le « nous » de l’Église, c’est le Corps du Christ, ce « nous » que nous formons. Le Pape François insiste beaucoup sur ce point dans sa lettre. Comprenons donc bien, qu’en ce jour d’ordination c’est le « nous » de l’Église qui doit être l’objet de notre attention prioritaire, avant le « je » de celui qui sera ordonné.  Donc il ne s’agit pas, vous l’avez compris, de célébrer une personne. Si, dans la célébration des Sacrements, nous célébrons une personne, il s’agit d’abord du Fils de Dieu, et pas d’abord cette personne qui aujourd’hui est appelée aux ordres sacrés. C’est Dieu lui-même qui est glorifié. Dieu le Père, par le Fils, et dans l’Esprit, vient faire don à l’Église, Corps du Christ, d’un ministre ordonné supplémentaire, pour qu’elle puisse accomplir sa mission. Et cela c’est notre joie ! Dieu vient nous faire le don d’un diacre. Qu’il s’agisse ensuite de celui-ci ou de celui-là, en quelque sorte, c’est presque secondaire. Même si subjectivement, pour Sylvain, pour sa famille, pour ses amis, pour son Église diocésaine, pour le Diocèse aux Armées, que ce soit Sylvain n’est pas anodin bien évidemment. Mais il importe de nous arrêter d’abord sur le don salvifique que Dieu nous fait à travers un diacre ; quel qu’il soit !

2 – Nous avons entendu tout à l’heure Sylvain s’engager au célibat, et c’est un pas extrêmement important dans sa vie d’homme, de baptisé, de diacre. La formule rituelle utilisée est : « voulez-vous garder toujours cet engagement ? » Le mot « toujours », porte l’appel à la persévérance « à cause du royaume des cieux », nous dit la liturgie. Puis elle poursuit : « pour signifier le don de vous-même au Christ, en vous mettant au service de Dieu et de votre prochain », (nous avons entendu dans l’Évangile, l’appel du Christ à se faire serviteur de Dieu et serviteur du prochain).

Alors, chers amis, nous devons là aussi partir de Dieu et de Jésus. S’il nous faut parler du célibat, il importe de partir du célibat et de la chasteté de Jésus qui ne sont pas simplement quelque chose d’anecdotique, une sorte de hasard de circonstances. Jésus, si nous y prêtons bien attention, n’explique pas son célibat avec des raisons fonctionnelles. Raisons que, pour notre part, nous mettons parfois en avant pour essayer de justifier ce célibat face au monde qui peine à le comprendre. Ses motivations ne sont pas fonctionnelles, et Jésus ne vise pas simplement à être plus libre pour se déplacer d’un endroit à un autre, plus disponible pour la prière ou pour les autres. Si Jésus choisit le célibat et la chasteté c’est parce que les temps sont accomplis. C’est un choix eschatologique. Tout provient, pour Jésus, de son sens aigu du Royaume, de son intimité avec le Père, par l’Esprit, dans la Communion Trinitaire. La source du célibat de Jésus se situe dans des raisons spirituelles et mystiques d’abord. Donc, la seule chose qui puisse faire qu’un croyant fasse ce choix d’une chasteté persévérante, aujourd’hui comme hier, tient dans le fait qu’il fasse siens les sentiments intérieurs de Jésus. C’est Jésus qui vivra son célibat en nous. C’est un choix qui ne peut être gagé que sur une expérience intérieure de nature mystique, analogue à celle du Christ lui-même. Dans notre société, ce choix du célibat est tellement contre culturel, est si incompréhensible, qu’il ne peut être gagé que sur une radicale expérience intérieure. Alors comme Jésus et avec Jésus s’engager à une persévérante chasteté – comme s’y engagent aussi les consacrés, comme s’y engagent également les époux chrétiens (parce qu’il y a une chasteté aussi dans le mariage) – peut devenir de l’ordre du possible. L’engagement à une persévérante chasteté repose, au fond, sur une dimension profondément mystique. Un choix mystique, contre culturel, qui ne peut se nouer que dans la prière la plus intime. J’ai aimé que Sylvain me dise qu’avant le « tohu-bohu », le grand tourbillon, de l’ordination elle-même, il souhaitait se retirer dans le calme du petit oratoire que nous avons à la Maison des Œuvres. En effet la réponse qu’il donne aujourd’hui à l’appel de Dieu ne peut s’ancrer que dans une relation intime au Christ, sinon tout cela ne peut pas tenir. Tout ceci se noue dans la prière la plus intime, dans la relation entre une personne et son Seigneur. Tout ce qui favorisera l’intimité priante, contribuera à rendre ce choix – qui est de soi crucifiant -, possible, aimable, et peut-être même durable…

Possible, aimable, et durable, en fonction de cette relation intime avec le Seigneur.

3 – Lorsque nous parlons d’une ordination diaconale « en vue du presbytérat », si nous n’y prenions pas garde, nous pourrions peut-être passer à côté d’une réalité essentielle. Nous trouverions-nous, au prétexte que nous serions orientés vers l’ordination presbytérale, simplement dans une antichambre, une sorte de pièce nous permettant d’attendre d’accéder enfin au « Graal », à la rencontre tant espérée ? Une ordination diaconale en vue du presbytérat est-elle simplement un espace d’attente avant d’être ordonné prêtre ? S’agirait-il d’une sorte de hall d’embarquement d’un aéroport nous permettant de patienter avant d’accéder enfin à notre vol tant attendu ? Nous établir dans une telle posture serait certainement une grave erreur. Si nous n’habitons pas vraiment le sacrement de l’ordre dans son premier degré, si nous sommes simplement en attente d’autre chose, il y a fort à parier que notre manière d’incarner demain le ministère presbytéral, (parfois même le ministère épiscopal) souffre de graves défaillances. Plus que comme une étape, il faudrait sans doute envisager le diaconat comme un socle, une fondation sur laquelle repose l’édifice. Si nous sommes diacre simplement « en attente » d’être prêtre, en passant à côté de ce socle d’humilité, d’abaissement, d’abandon, de compassion (celle de l’Évangile d’aujourd’hui), alors nous aurons de grandes difficultés à être ces prêtres selon le cœur de Dieu dont l’Église a tant besoin. Nous aurons de grandes difficultés à être ces prêtres (ces évêques) éloignés de toute tentation d’abus d’autorité, d’abus de pouvoir, d’abus spirituels ; nous aurons toutes les peines du monde à être des prêtres qui ne soient pas indifférents à la détresse de leurs contemporains. J’ai la conviction que bien plus de choses qu’on ne l’imagine parfois dépendent de notre manière d’habiter ce diaconat, d’y entrer vraiment, et d’en faire le socle de nos ministères à venir.

Prêtres et évêques que nous sommes, si nous nous rendons compte que nous avons peut-être glissé un peu vite sur l’étape diaconale et que nous avons besoin de nous ré-ancrer dans ce socle d’humilité, d’abaissement, et d’abandon, peut-être nous faudra-t-il alors reprendre modestement le chemin de la grâce diaconale. Oui, nous ne devrions jamais oublier que nous restons diacres, aidés en cela par nos frères diacres permanents qui pourraient nous dire : « Père (ou Monseigneur), là vous avez un petit peu oublié quelque chose en route : vous êtes diacre et c’est essentiel, c’est un socle d’exercice de votre ministère. Ce n’était pas simplement une étape transitoire ». Si nous ne vivons pas en profondeur de façon radicale cette expérience de configuration au Christ serviteur, spécifique du diaconat, si nous n’épousons pas cette logique, (vous savez la logique de Jean 13  et du lavement des pieds, ou de Matthieu 20  dans le dialogue entre Jésus et la mère de Jacques et Jean), cette dynamique de renoncement à toute soif de pouvoir, à toute ambition personnelle, à tout besoin humain de reconnaissance ; peut-être même, si nous ne renonçons pas à toute recherche de bonheur, pour nous oublier nous-mêmes dans le service de Dieu et des frères, nous nous engagerons et nous serons engagés dans le ministère presbytéral sans ses prérequis indispensables.

Alors Sylvain, ne manque pas cette étape diaconale, elle est essentielle ! Et vous tous, ceux et celles qui l’accompagnent, prêtres, diacres, consacrés, laïcs, aidez-le à entrer vraiment dans l’essence de ce ministère, à « l’habiter » vraiment.

En conclusion, je vous dirais, frères et sœurs, que le défi, notre défi aujourd’hui, (le tien Sylvain, mais notre défi à tous) est vraiment, sous la motion de l’Esprit, de faire notre le désir même de Dieu en Jésus Christ. Notre défi c’est d’entrer toujours plus, jour après jour, dans l’ardent désir de Dieu par rapport à son Église et par rapport à chacun et chacune d’entre nous.

 « J’ai désiré d’un grand désir ». Oui, vraiment, le Seigneur a désiré, de la façon la plus forte qui soit, l’événement de ce jour, comme il a désiré tout ce que ce moment permettra de déployer pour l’avenir de l’Église et du monde.

Amen.