Noël, ou la « nostalgie du futur »

par | 12/12/2018

 

Noël, ou la « nostalgie du futur »

« le fait d’être habité par une nostalgie incompréhensible serait tout de même le signe qu’il y a un ailleurs. » (Eugène Ionesco)

Après cette fête de Noël nous restons interrogatifs sur ce qui pousse encore tant de personnes, de toutes générations, à rejoindre une célébration de la Nativité, et même souvent à chanter de grand cœur les chants traditionnels de cette nuit très spéciale. Nostalgie dirons nous, au sens où on cherche à se replonger dans les émotions de l’enfance. Mais pas seulement probablement. Il y a une nostalgie plus profonde plus « métaphysique » qui renvoie à une Terre Promise, ou à un Éden, pour lesquels nous sommes faits et qui creuse en nous le gouffre d’un manque très profond.

Nous sommes englués dans la consommation, et nous savons, inconsciemment que nous sommes faits pour donner et partager ; nous sommes obnubilés par une vision mondaine de la réussite, et nous percevons que ce devrait être le plus fragile et le plus blessé qui se retrouvent au centre de notre attention ; nous recherchons du pouvoir, et Celui qui vient nous engage dans une logique d’abandon de toute prétention à la puissance en acceptant d’être mis sur la croix par amour…

Nos contemporains, comme nous-même, comprennent que nous sommes engagés dans une logique folle qu’il nous faut inverser pour trouver véritablement bonheur et sens à nos existences, tant au plan personnel qu’au plan collectif. Alors, en contradiction avec tout ce qui dirige habituellement nos vies nous venons nous agenouiller devant le pauvre enfant de la crèche. Et en Lui, avec Lui, c’est Dieu qui nous fait signe.
Je crois que tous ceux que nous avons vu se déplacer vers nos églises le soir de Noël, ou qui ont pris un moment pour être en silence devant une crèche, même sans en avoir conscience, sont habités par cette nostalgie de l’exilé qui sait qu’il se trouve en terre étrangère.

« Au bord des fleuves de Babylone nous étions assis et nous pleurions, nous souvenant de Sion ; … Comment chanterions-nous un chant du Seigneur sur une terre étrangère ? Si je t’oublie, Jérusalem, que ma main droite m’oublie ! » (Ps 137, 1 et 4-5)

Notre mission de baptisés, disciples-missionnaires de cet enfant-Dieu surgissant dans notre histoire (notre mission de ministres ordonnés de ce Maître) est de faire que cette prise de conscience ne soit pas seulement celle d’un soir mais de toute une vie. Il s’agit de convertir chacun d’entre nous et la société toute entière à cette révolutionnaire vision du monde. C’est désormais à travers nous que nos contemporains percevront, ou ne percevront pas, le Christ et son message. Ces paroles de Madeleine Delbrêl nous aident à le comprendre :

 » Un jour de plus commence, Jésus en moi veut le vivre. Il ne s’est pas enfermé, Il a marché parmi les hommes. Avec moi il est parmi les hommes d’aujourd’hui. Il va rencontrer chacun de ceux qui entreront dans la maison, chacun de ceux que je croiserai dans la rue, d’autres riches que ceux de son temps, d’autres pauvres, d’autres savants et d’autres ignorants, d’autres petits et d’autres vieillards, d’autres saints et d’autres pécheurs, d’autres valides et d’autres infirmes. Tous seront ceux qu’il est venu chercher. Chacun, celui qu’il est venu sauver. A ceux qui me parleront, il aura quelque chose à répondre ; A ceux qui manqueront, il aura quelque chose à donner. Chacun existera pour lui comme s’il était seul. Dans le bruit il aura son silence à vivre. Dans le tumulte, sa paix à mouvoir. Jésus en tout n’a pas cessé d’être le Fils. En moi il veut rester lié au Père. Doucement lié, dans chaque seconde, balancé sur chaque seconde comme un liège sur l’eau. Doux comme un agneau devant chaque volonté de son Père. Tout sera permis dans le jour qui va venir, tout sera permis et demandera que je dise « oui ». Le monde où il me laisse pour y être avec moi ne peut m’empêcher d’être avec Dieu ; comme un enfant porté sur les bras de sa mère n’est pas moins avec elle parce qu’elle marche dans la foule. Jésus, partout, n’a cessé d’être envoyé. Nous ne pouvons pas faire que nous ne soyons, à chaque instant, les envoyés de Dieu au monde. Jésus en nous ne cesse pas d’être envoyé, au long de ce jour qui commence, à toute l’humanité, de notre temps, de tous les temps, de ma ville et du monde entier. A travers les proches frères qu’il nous fera servir, aimer, sauver, des vagues de sa charité partiront jusqu’au bout du monde, iront jusqu’à la fin des temps. Béni soit ce nouveau jour, qui est Noël pour la terre, puisqu’en moi Jésus veut le vivre encore. Ainsi soit-il. »

Pardonnez-moi pour ce partage, quelque peu long.
Je voulais aussi vous orienter vers deux textes dont la lecture m’a particulièrement marquée.
Le premier est la retranscription des vœux adressés par le pape à la Curie le 21 décembre dernier. Avec la Lettre au Peuple de Dieu de 20 août, celui-ci fera certainement date.
http://w2.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2018/december/documents/papa-francesco_20181221_curia-romana.html
Le second est le fruit d’une réflexion menée par le Jésuite et économiste Gaël Giraud autour des mouvements sociaux (gilets jaunes) dans notre pays ces dernières semaines. https://www.dropbox.com/s/qdxoz8i38kge6q9/Gilets%20jaunes.pdf?dl=0

« La pensée d’un homme, c’est avant tout sa nostalgie. » (Camus)

+ Jean-Marc Eychenne – Évêque de Pamiers, Couserans et Mirepoix