Lois de bioéthique : les catholiques invités à « se manifester »…

par | 7/09/2019

Des fidèles nous demandent des clés de discernement (et parfois aussi des plans d’action…) autour de la question du projet de révision des lois de bioéthique, qui sera bientôt présenté à l’assemblée nationale. Cet entretien avec Mgr de Moulin-Beaufort, archevêque de Reims et président de la Conférence des Évêques de France, peut nous éclairer.

Regard sur le projet de loi de révision des lois de bioéthique.

Entretien :

Mgr Éric de Moulins-Beaufort : « A chaque révision des lois de bioéthique, les encadrements sautent »

Mgr Éric de Moulins-Beaufort , archevêque de Reims et président de la Conférence des évêques de France. Bruno Levy/CIRIC

La Croix : Quel regard portez-vous sur le projet de loi de révision des lois de bioéthique présenté mercredi 24 juillet devant le conseil des ministres ?

Mgr Éric de Moulins-Beaufort : Ce projet de loi avait été annoncé depuis son élection par le président de la République. Il ne constitue donc pas une surprise. À mes yeux, il confirme l’impuissance des politiques à résister à une espèce de pression qu’ils ont eux-mêmes contribué à créer : depuis des années, ils font croire que les solutions techniques, médicales et juridiques permettront de soulager toutes les souffrances et les désirs non réalisés au fur et à mesure qu’ils seront identifiés. En affirmant cela, nos politiques nous trompent car inévitablement, les causes des souffrances se déplaceront. On ne fera que créer d’autres frustrations.

Ce projet de loi me remplit donc d’une grande tristesse car, pour répondre à des manques, on modifie les conditions d’engendrement, de filiation, notre rapport au corps alors qu’il serait possible de vivre tout cela autrement.

Toutes les dispositions de ce texte vous semblent-elles dangereuses ?

Mgr E. de M.-B. : Non, je pense que la greffe et l’intelligence artificielle en médecine sont des sujets qui méritent un examen approfondi et sur lesquels il faut avancer. Je suis inquiet en revanche de l’extension de la recherche sur les cellules-souches embryonnaires, et surtout sur les conditions dans lesquelles les chercheurs se les procureront. Cela impliquera-t-il la mort d’un embryon ? Le projet de loi précise qu’elles seront « cultivées » mais nous sommes très doués pour habiller nos actes de mots édulcorants et nous donner bonne conscience à bon compte.

Je me demande aussi si nous avons mis suffisamment de moyens, par exemple, dans le traitement des différents types d’infertilité. Ne nous sommes-nous pas laissés fasciner, depuis le premier bébé-éprouvette, par la possibilité de fabriquer la vie ?

Et je m’inquiète bien sûr de l’invention d’une forme de « procréation sans corps », dans laquelle le géniteur ne serait qu’un fournisseur de matériel génétique. On veut répondre au désir compréhensible de certaines femmes d’avoir un enfant en organisant une procréation sans père. Et d’un autre côté, on veut prendre en compte le désir des enfants nés ainsi de rencontrer leur père qui n’est pas qu’un fournisseur de gamètes.

Avez-vous, comme certains, le sentiment que notre pays est, en matière de bioéthique, sur « une pente glissante », au sens où une réforme en entraîne une autre ?

Mgr E. de M.-B. : Il semble en effet qu’à chaque révision de la loi, les encadrements sautent, que les précautions qui avaient été prises la fois précédente sont rabotées. Il n’y a pas si longtemps, certains – dont le premier ministre – étaient contre la PMA pour les femmes seules et ont changé d’avis. La ministre de la santé, Agnès Buzyn, affirme que la GPA est « aujourd’hui contraire à nos principes fondamentaux ». Les politiques peuvent dire beaucoup de belles choses à ce sujet : en restant dans leur logique, ils finiront par l’autoriser.

Ce projet de loi ouvre déjà la porte à une possible commercialisation des gamètes. Car comment fera-t-on, une fois que l’on aura autorisé les couples de femmes ou les femmes seules à avoir un enfant, si l’on manque de sperme ? Nous serons bien obligés d’aller en acheter à l’étranger. Tout en gardant un certain sens de la dignité humaine, du principe de non-disponibilité du corps humain, nos sociétés se laissent entraîner dans des conceptions extrêmement techniciennes et mercantiles de l’être humain.

Quelle solution autre que l’usage de la technique les catholiques peuvent-ils proposer ?

Mgr E. de M.-B. : Je comprends la douleur des gens qui n’ont pas d’enfant. Mais doit-on bricoler le système de la filiation pour répondre à ce désir ? Derrière ce désir se cache sans doute une peur de la mort, de la solitude, sans doute aussi un désir d’aimer et d’être aimé de manière inconditionnelle. Ce désir complexe doit être clarifié. Mais nous, catholiques, pouvons affirmer que ce double désir peut être assumé autrement, à l’intérieur de la famille ou dans des engagements sociaux.

Il est déjà assez compliqué d’être un être humain et nous allons, avec ce projet de loi, multiplier les situations compliquées. Nous savons que le lieu d’émergence de l’être humain le plus souhaitable est l’union corporelle d’un homme et d’une femme qui se sont donnés l’un à l’autre et qui, ainsi, créent un espace d’amour et de respect qui apaise en quelque sorte le monde. Travaillons plutôt à favoriser cet apaisement, et à aider l’être humain qui naît ainsi à grandir le moins mal possible dans ce monde souvent chaotique !

Le premier ministre, Édouard Philippe, appelle les parlementaires, qui devront maintenant examiner le texte, à un « débat serein ». Comment les catholiques peuvent-ils y participer ?

Mgr E. de M.-B. : On ne peut que remercier le premier ministre d’appeler à ce débat serein. L’an dernier, l’État a organisé des états généraux de la bioéthique de bonne qualité et sereins : je ne suis pas sûr que le projet de loi soit à la hauteur de cette consultation.

C’est désormais aux parlementaires d’avoir ce débat : j’espère qu’il sera serein et aussi approfondi, et que ceux qui discuteront certaines dispositions ne vivront pas sous la terreur de ne pas apparaître progressistes ou de passer pour « homophobes ».

Ce débat « serein » doit-il aussi avoir lieu au sein de l’Église, à l’intérieur des paroisses ?

Mgr E. de M.-B. : Les catholiques sont comme tout le monde : eux aussi ont peur de ne pas avoir d’enfant, parce qu’infertiles ou homosexuels. Certains partagent se laissent donc tenter par ces solutions techniques et je me doute bien que, dans l’opinion catholique, on pourra trouver toutes les réponses.

Notre rôle, à nous évêques, est de travailler pour aider tous ceux qui veulent vivre une relation d’amour, de fraternité, d’amitié, de générosité et de reconnaissance mutuelle : que les gens mariés soient attentifs aux célibataires, que ceux qui ont des enfants le soient avec ceux qui n’en ont pas… Nous pouvons nous fortifier les uns les autres pour apaiser et même aider à transfigurer ces situations douloureuses.

La Manif pour tous et d’autres associations dans lesquelles œuvrent des catholiques appellent à manifester contre ce projet de loi le 6 octobre. Appelez-vous, personnellement, les catholiques à manifester ?

Mgr E. de M.-B. : Personnellement, j’ai beaucoup aimé la formule qu’avait employée le cardinal André Vingt-Trois (NDLR : alors président de la Conférence des évêques de France) en 2012 lorsqu’il avait appelé les catholiques à « se manifester ». Les catholiques sont des citoyens comme les autres. Nous, évêques, avons beaucoup parlé, écrit, envoyé des argumentaires aux parlementaires et aux membres du gouvernement et nous continuerons pendant la discussion du projet de loi, car tout ce qui peut être amélioré mérite de l’être. Des pères, des mères, des enfants, tous les citoyens doivent se faire entendre auprès de leurs députés et sénateurs.

Pour ma part, je pense qu’il n’est pas dans le rôle des évêques ou des prêtres de prescrire les moyens politiques avec lesquels les catholiques doivent travailler comme citoyens. Si certains pensent que manifester peut être utile, et parce que cela peut avoir un certain poids pour aider les parlementaires à avoir un débat complet, qu’ils le fassent. Mais cela ne peut être le dernier mot, ou le seul marqueur, d’une attitude chrétienne.

Pour ma part, je pense qu’il n’est pas dans le rôle des évêques ou des prêtres de prescrire les moyens politiques avec lesquels les catholiques doivent travailler comme citoyens.

Avez-vous abordé cette question entre évêques ? Avez-vous une position commune qui éviterait la cacophonie des prises de position autour de la loi sur le « mariage pour tous » ?

Mgr E. de M.-B. : Lorsque nous nous sommes vus à Lourdes en avril, nous avons travaillé sur d’autres sujets. Nous ne pouvions pas savoir, à l’époque comment les choses allaient s’orienter, ni quel serait le calendrier. Nous en parlerons sans doute en novembre mais une fois que le débat sera entamé.

Il y aura toujours des prises de position différentes. Je pense, quant à moi, qu’en politique, chaque catholique a à chercher le moyen le plus juste d’apporter sa contribution. Il est de notre devoir, à nous évêques, de nourrir leur réflexion, de les encourager à être des citoyens actifs, adultes, et de les aider à respecter les autres comme croyants, y compris lorsqu’ils font d’autres choix politiques et sociaux. Cela ne doit pas les empêcher de s’estimer.

  • Recueilli par Anne-Bénédicte Hoffner,

En Ariège certains s’organisent pour se rendre au rassemblement parisien du 6 octobre, en lien avec les Associations Familiales Catholiques (AFC). Les renseignements sont accessibles sur les lien suivants : lien Paris 6 octobre    tract AFC 6 Oct. (1)