Côme en Italie – Un prêtre « martyr de la charité ».

par | 22/09/2020

 

Prêtre poignardé en Italie : mourir en aidant son prochain, est-ce la vocation de tout chrétien ?

L’hebdomadaire Famille Chrétienne a demandé à notre évêque, qui avait publié un tweet à ce propos, de s’exprimer sur la question du « martyre de la charité ». Voici l’article publié sur leur site.

texte du tweet : « Aimer c’est se mettre en situation d’être blessé. On dépose les armes, on ôte ses protections, on se met quelquefois en danger. Comme quelqu’un qui plonge pour sauver un frère qui se noie. C’est sans doute cela aussi le mystère chrétien. »

ARTICLE | 17/09/2020 | Par Antoine Pasquier

Bénédiction d'un cercueil

L’évêque de Côme, Mgr Oscar Cantoni, bénit le cercueil de don Roberto Malgesini, assassiné dans la matinée du mardi 15 septembre 2020.

©ANSA – ABACA

Le 15 septembre, le père Roberto Malgesini, un prêtre du diocèse de Côme (Italie), a été tué par le sans-abri auquel il venait en aide. Le pape François a rendu grâce à Dieu « pour le martyre de ce témoin de la charité ». Mourir en aidant son prochain, est-ce la vocation de tout chrétien ? Réponse avec Mgr Jean-Marc Eychenne, évêque de Pamiers.

Le danger est-il inhérent à l’acte de charité ?

La charité pour les chrétiens est un amour d’Agapé, de pure gratuité, qui n’attend rien en retour. C’est à ce titre qu’il peut être « dangereux » car il est fait d’oubli de soi pour donner la priorité à l’autre. Il peut aller jusqu’à l’amour des ennemis, à l’appel du Christ, et un tel parti pris comporte pour le moins quelques risques…

Le Cardinal Siri, qui m’a ordonné prêtre, alors qu’on l’interrogeait sur l’opportunité de répondre à la sollicitation de pauvres dont on n’était pas certain qu’ils soient dans une réelle détresse, ou qui la mettaient peut-être grandement en scène, disait : « je préfère être parfois pris pour un imbécile (preso in giro) que de risquer d’être habituellement indifférent à la misère d’autrui ». Il nous invitait à prendre le risque de la charité chrétienne. Le plus grand risque, pour les disciples de Jésus, n’est pas dans la charité, mais dans son absence. « Car celui qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera » (Mc 8, 35).

Certains ont parlé, à propos de ce prêtre, du « martyre de la charité ». Cette expression est-elle juste ? Que signifie-t-elle ?

« Martyr de la Charité » est une expression que saint Jean-Paul II se plaisait à utiliser (par exemple à propos du Père Ramin, missionnaire assassiné au Brésil pour avoir pris à cœur la problématique indigène de la répartition des terres). Martyr signifie témoin et, plus précisément encore, témoin du Christ. Ce qui constitue le martyr ce n’est pas, en soi, le fait de perdre sa vie, mais le fait de la perdre « au nom du Christ », habité par Son amour. « Quiconque accueille en mon nom… », dit Jésus, « ne restera pas sans récompense. » (Mc 9, 37-41). À la porte du temple de Jérusalem, Pierre dit à l’homme infirme de naissance se trouvant là : « De l’argent et de l’or, je n’en ai pas ; mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus Christ le Nazaréen, lève-toi et marche. » (Ac 3, 6). Si donc la charité qui s’est exercée est le fruit de l’Esprit du Christ au cœur de la personne offrant sa vie, alors nous sommes face à un martyr. Quelqu’un peut-il, sans en avoir conscience, et sans professer la foi en Jésus, être « agi » par l’Esprit du Seigneur ? C’est une autre question…

Des chrétiens morts en venant en aide à leur prochain, ce n’est pas nouveau dans l’histoire de l’Église. Quelles figures illustres ou moins connues nous montrent l’exemple ?

Nous pourrions penser à des personnes déjà canonisées comme le Père Maximilien Kolbe mort à Auschwitz dans le bunker de la faim, à la place d’un père de famille, qui est peut-être le personnage le plus emblématique de ce « martyr de la charité » dans l’histoire encore récente. Mais il pourrait être question aussi du Père Damien, Missionnaire du Sacré Cœur et apôtre des lépreux, qui sera lui-même touché par la maladie de ceux dont il prenait soin. La découverte de sa maladie lui fait connaître un profond épanouissement spirituel : « Je tâche de porter ma croix avec joie, comme notre Seigneur Jésus Christ ». Et cette figure renvoie aussi à François d’Assise et son baiser au lépreux. Cependant nous pourrions aussi penser à la « sainteté des gens ordinaires » selon l’expression de Madeleine Delbrêl, ou « aux saints de la porte d’à côté » chers au Pape François. Parmi eux nous pourrions prêter attention aux médecins, soignants et prêtres, religieux et religieuses décédés lors de l’épidémie de COVID 19, touchés eux-mêmes par la maladie, alors qu’ils dispensaient des soins (médicaux et spirituel). Comment ne pas penser aussi au Père Hamel et au lieutenant-colonel Arnaud Beltrame, ou encore à cette psychologue (Morgane) assassinée pour avoir voulu protéger un jeune patient au moyen d’un signalement… ? La liste pourrait être très longue, et tous et toutes ont leur place dans le cœur de Dieu. « Chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » (Mt 25,40).

Est-il légitime pour un chrétien d’avoir peur d’être blessé ou de perdre la vie lorsqu’il pose un geste de charité ? Ou doit-il rendre service à son prochain sans avoir conscience du danger ?

La peur est une émotion humaine que n’éloigne pas de nous notre condition de baptisés. Il faut sans doute pouvoir l’accueillir avec humilité sans prendre des engagements qui seraient, en l’état, hors de notre portée. Par grâce parfois, le Seigneur peut nous en libérer, mais nous ne sommes pas maîtres des dons de Dieu.  « Jésus posa sur eux son regard et dit : “Pour les hommes, c’est impossible, mais pour Dieu tout est possible.” » (Mt 19, 26). François d’Assise lui-même, que la vision et le contact des lépreux horrifiait, a expérimenté cela. Son biographe rapporte ce témoignage : « Au temps où j’étais encore dans les péchés, la vue des lépreux m’était insupportable. Mais le Seigneur lui-même me conduisit parmi eux ; je les soignais de tout mon cœur ; et au retour, ce qui m’avait semblé si amer s’était changé pour moi en douceur pour l’esprit et pour le corps. Ensuite j’attendis peu, et je dis adieu au monde. » Ne rêvons donc pas de grandeur qui nous dépassent et, en étant accompagnés spirituellement, discernons ce qui nous est possible en matière de charité. N’oublions pas non plus que la prudence est une vertu cardinale et que si elle ne doit pas servir d’excuse pour ne rien faire (voir plus haut ce que disait le Cardinal Siri), elle doit nous conduire à prendre conseil auprès de gens aguerris à des gestes de compassion demandant quelque préparation.

En quoi cette charité au risque de sa vie rejoint-elle le mystère chrétien, et donc la vie du Christ ?

Un acte de charité pour un chrétien est le fruit de son union au Christ. Dans cette union transformante, on devient un autre Christ. C’est Lui qui agit en nous et nous aspire dans le mouvement d’offrande à son Père, par amour (Esprit). C’est le mystère de la Croix du Christ qui est rendu présent dans chaque acte de charité authentique. Même si tous les actes de charité n’ont heureusement pas la mort pour conséquence immédiate, en chacun d’eux il y a toujours l’ombre portée de Jésus sacrifiant sa vie par amour. « Ainsi donc, celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple. » (Lc 14, 33). Notons que décès de ce jeune prêtre intervient au lendemain de la fête de la Croix Glorieuse, le jour où on fait mémoire de Marie, Notre Dame des Douleurs. Cependant le mystère chrétien est un mystère de mort et de Résurrection. Ce sont l’amour, et donc la vie, qui au final obtiennent la victoire. Au-delà des apparences c’est l’exultation du Cantique des Cantiques qui a le dernier mot : « Pose-moi comme un sceau sur ton cœur, comme un sceau sur ton bras. Car l’amour est fort comme la Mort, la passion, implacable comme l’Abîme : ses flammes sont des flammes de feu, fournaise divine. Les grandes eaux ne pourront éteindre l’amour, ni les fleuves l’emporter. » (Ct 6-7)

Antoine Pasquier