Homélie funérailles d’Alexandra et de Camille Sonac – Teilhet, le 1er février 2024
Frères et sœurs,
Jésus était-il agriculteur ? était-il berger ? était-il pécheur ? Il existe tant de paraboles, tant de petites histoire que Jésus raconte à ses amis en s’appuyant sur la vie et le travail des pécheurs, des bergers ou des agriculteurs que la question pourrait être légitime. Jésus connaissait bien le métier du semeur et du moissonneur. Ce qui est sûr, c’est que Jésus marche et passe d’un endroit à l’autre pour enseigner, guérir, relever les hommes blessés. Il n’est jamais là où on l’attend, et en même temps toujours présent à la pauvreté, à la souffrance des hommes et des femmes de son temps.
Les paraboles que nous entendons aujourd’hui, cette histoire de grain semé qui fait son chemin, cette histoire de petite graine qui une fois semée va faire son travail et donner la plus grande des plantes potagères, ces paraboles nous permettent de comprendre le Royaume, ce temps de Dieu déjà commencé et encore à venir.
Chers amis, pour nous qui cheminons depuis quelques jours avec nos questions, pour nous qui cheminons entre doutes et espérances, entre larmes et joies, la parole de l’évangile que nous venons d’entendre peut devenir cette lumière qui éclaire nos pas et redonne du sens à nos vies.
Nous nous retrouvons à Teilhet dans cette église où Alexandra, Camille et leur famille ont vécu tant de moments importants sous le regard de Dieu. Ici Alexandra et Jean-Michel se sont dit oui pour la vie. Ici, Camille a reçu le baptême.
Aujourd’hui il était naturel de nous retrouver nombreux pour accompagner Jean-Michel, Lucie et les leurs. Ce n’est, nous le savons, qu’avec le soutien de frères et de sœurs, d’amis, que nous pouvons traverser l’épreuve et retrouver l’espérance qui nous tient debout.
« L’espérance ne va pas de soi ! L’espérance ne va pas toute seule ! » Ces mots de Charles Peguy, nous les connaissons, mais parfois la vie nous donne de les redécouvrir avec fracas et force. L’espérance, poursuit Charles Peguy, voit ce qui n’est pas encore et surtout ce qui sera. L’espérance est moteur de notre vie. A chaque fois que nous risquons le pas suivant dans la vie qui est la nôtre, à chaque fois que nous nous relevons pour poursuivre ce que nous avons commencé et dont l’achèvement compte à nos yeux autant que l’accomplissement d’une promesse, alors oui, l’espérance est moteur de notre vie.
Notre espérance peut certains jours être mal menée, et elle l’est de manière particulière pour chacune et chacun d’entre nous devant la mort de Camille et d’Alexandra. Deux vies fauchées un matin d’hiver en plein combat pour défendre un métier, un art de vivre, pour défendre la nécessité d’une vie digne et d’un travail justement rétribuée.
Oui, mes amis, l’espérance ne va pas de soi ! Et pourtant, c’est bien l’espérance qui nous fait tenir debout, peut-être titubants, mais debout ! Une femme, une jeune fille, une épouse, une enfant, une sœur, une amie, une agricultrice, une collègue, une amie d’école. Alexandra et Camille nous manquent. Comment ne pas être abasourdis par la stupidité de cet accident ? Comment ne pas être dépouillés et démunis devant l’inacceptable ? Comment ne pas être traversés, chacun à sa manière, par un flot de questions, de comment et de pourquoi ?
A travers ces deux paraboles du grain semé, à travers ces deux histoires que raconte Jésus à ses amis, nous mesurons à quel point Dieu part toujours du cœur de l’homme, sans jamais s’imposer. Avec Dieu, même dans les sols les plus secs, il y a toujours l’espérance de nouvelles pousses, l’espérance de lendemains meilleurs. Là est notre foi.
Bernanos disait de l’espérance qu’elle est un désespoir dépassé, surmonté. Là est le chemin qui nous attend. Un chemin escarpé et difficile qu’il nous faut prendre ensemble, en nous soutenant les uns les autres. C’est là le cœur de la foi des chrétiens. « La foi que j’aime le mieux, dit Dieu, c’est l’espérance !» Charles Peguy, parlant de l’espérance, met ses mots magnifiques sur les lèvres de Dieu comme pour nous redire cet appel à passer de la mort à la vie, cette réalité qui fait de nous des vivants appelés à vivre avec toujours plus d’intensité.
Partout en Ariège, nos agriculteurs partagent la même inquiétude qui s’exprime aujourd’hui à travers toute la France et jusqu’au cœur de la capitale. Avec vous, qui êtes à Teilhet aujourd’hui, avec tant d’autres à travers notre pays, Alexandra portait fort et loin sa voix pour prendre soin de notre nourriture, mais pour prendre soin aussi de celles et ceux qui exercent comme elle ce beau métier de travailler la terre et de nourrir leurs contemporains.
Alexandra comme tant d’autres demandait tout simplement que sa famille et elle puissent vivre dignement et normalement de son métier et de son travail. Cri de colère, cri légitime, cri qu’il nous faut entendre. Sans doute nous faut-il changer des manières de vivre, changer nos manières de consommer, changer nos manières d’habiter la planète, cette maison commune qui est la nôtre.
Plus que quiconque, l’amour de la terre dont font preuve chaque jour les agriculteurs, fait d’eux des personnes responsables devant les questions du climat, de la sauvegarde de la planète, de la gestion de l’eau, et des questions environnementales.
Qui d’autres que vous qui travaillez à temps et contre temps la terre peut mesurer à quel point il faut prendre soin du grain pour qu’il porte du fruit ? Pour parler du temps de Dieu, du Royaume, Jésus ne cesse d’évoquer le soin du grain, les semailles, la moisson. Il ne cesse d’évoquer ce grain, qui après les semailles, pousse seul, que nous nous levions ou que nous dormions, le grain semé poursuit sa croissance. Bien sûr, nous pouvons accompagner cette croissance de nos gestes et de notre attention.
Aujourd’hui, pour chacune et chacun de nous, prendre soin du grain, c’est repérer en nos vies d’hommes et de femmes ce qu’Alexandra et Camille ont semé. Il restera de vous, Camille, Il restera de vous, Alexandra, ce que vous nous avez transmis. Chacune à votre manière vous nous avez façonnés et construits dans notre humanité. Vos choix, votre manière de vous engager, nous ont construits dans notre humanité, dans notre manière de vivre et de poser des choix.
Frères et sœurs, chaque jour, en chaque eucharistie, l’Eglise fait mémoire du travail des hommes et mémoire de ce que Dieu nous donne. « Fruit de la terre et du travail des hommes, fruit de la vigne et du travail des hommes », le pain et le vin qui sont entre nos mains sont cadeaux de Dieu et fruits de notre travail commun. Ce sont ces gestes du pain rompu et du vin versé que Jésus a choisi pour évoquer sa mort et sa résurrection, pour que nous ayons la Vie et que nous ayons la Vie en abondance.
Ne me demandez pas ce qu’est la résurrection, je serai bien incapable de vous répondre en deux mots. Ma foi me donne cependant de croire qu’aujourd’hui, Alexandra et Camille sont vivantes auprès de Dieu, et qu’elles parlent à perte de temps de chacune et chacun d’entre vous avec Dieu. Alexandra et Camille étaient complices dans la vie. Elles sont aujourd’hui complices avec Dieu de notre devenir et de notre avenir.
L’espérance, disait Charles Peguy, voit ce qui n’est pas encore et surtout ce qui sera. Puissions-nous, tout à l’heure, quitter Teilhet habités de la farouche espérance qui était celle d’Alexandra et de Camille.