Commencer plutôt que re-commencer – Laisser de la place à l’Imprévisible
En entrant dans une nouvelle année pastorale, en assumant de nouvelles responsabilités, en accueillant de nouveaux collaborateurs, en arrivant dans un nouveau lieu de vie, les verbes qui nous viennent spontanément à l’esprit débutent souvent par le préfixe « re ». Il sera alors question de se remobiliser, de reprendre ses habitudes, de retrouver ses repères, etc. En deux mots, de tout faire pour que la nouveauté s’estompe et que nous retrouvions au plus vite le confort douillet de notre vie précédente.
Or, dans une approche évangélique, à l’appel du Christ, un changement est toujours l’occasion d’une conversion. Il s’agit de devenir un autre homme (ou femme), un autre chrétien (ou chrétienne) à la faveur de ce qui va, désormais, caractériser autrement notre vie et notre mission. C’est notre être même qui est appelé à une métanoïa et non pas seulement les conditions concrètes de notre existence. Les changements extérieurs auxquels nous sommes contraints deviennent alors l’occasion d’entendre un appel à une évolution intérieure beaucoup plus profonde et radicale.
Une personne nouvelle est appelée à naître et, ce faisant, notre agir concret, va s’en trouver lui aussi modifié. Cette évolution de notre comportement sera pour nous – et souvent aussi pour les autres – source d’étonnement. Un nouveau chemin s’ouvre devant nous. La romancière Virginie Grimaldi intitulait un de ses livres « Le premier jour du reste de ma vie ». Nous pourrions essayer « d’habiter » cette formule, qui exprime assez bien ce qui peut se jouer ici. La notion de nouvelle naissance est très importante dans la spiritualité chrétienne. Le dialogue de Jésus avec Nicodème est, sur ce point, fondateur : « Nicodème lui répliqua : « Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il entrer une deuxième fois dans le sein de sa mère et renaître ? » Jésus répondit : « Amen, amen, je te le dis : personne, à moins de naître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu. » (Jn 3, 4-5) En effet, quel que soit notre âge ou notre situation, quelles que soient les joies ou les épreuves qui ont jalonnées notre route, nous pouvons vivre une nouvelle naissance personnelle, communautaire, spirituelle, et pastorale. Nos habitudes, notre manière d’être au monde en seront alors inévitablement changées, même sans que ce soit notre intention explicite. Par exemple, le Pape François dans sa première grande encyclique – La Joie de l’Évangile – dessinait ainsi la conversion pastorale qu’il appelle si souvent de ses vœux : « La pastorale en terme missionnaire exige d’abandonner le confortable critère pastoral du “on a toujours fait ainsi”. J’invite chacun à être audacieux et créatif dans ce devoir de repenser les objectifs, les structures, le style et les méthodes évangélisatrices de leurs propres communautés. » (n° 33)
Nous n’allons pas vivre les mêmes choses que l’année précédente, pas seulement (et pas d’abord), parce que nous avons déménagé ou parce que nous avons reçu une nouvelle mission, mais parce que le Seigneur, avec la puissance de son Esprit, nous transforme en profondeur, nous convertit. « Voici que je fais toutes choses nouvelles. » (Ap 21, 5)
De plus, le Créateur nous a fait à son image et à se ressemblance et donc fait de nous aussi des créateurs. Nous sommes de ces artistes dont nul ne sait ce que produiront demain les pinceaux, burins, ou instruments, sous le coup d’une inspiration inattendue… Chrétiens, au-delà de nos caractères, de nos « dadas », de nos « pentes », souvent bien connus et repérés, et dans lesquelles on voudrait nous enfermer, il est bon que nous restions en partie imprévisibles. Sinon cela voudrait dire qu’il n’y a plus de place en nous pour Dieu, l’Imprévisible par excellence.
Que nous commencions cette année comme si nous venions de naître, afin de ne pas céder à la routine en nous contentant de recommencer, encore et encore… Que le Seigneur nous accorde cette grâce.
+ Jean-Marc Eychenne – Évêque de Pamiers, Couserans et Mirepoix