Reprendre le chemin de la lecture
Dans l’iconographie chrétienne, très souvent, les représentations de la visite de l’ange à Marie au jour de l’Annonciation, montrent la Vierge un livre à la main. Parfois ce livre, ou ce rouleau, lui échappent dans l’instant de ce saisissement (comme dans le tableau d’Arcabas ici reproduit).
Cette mise en scène de l’artiste pourrait être l’occasion, en cette période inédite de confinement forcé et généralisé, de nous interroger sur la place des livres dans nos parcours d’humanité et de vie chrétienne.
En un temps où tout va très vite, où les outils numériques envahissent tous les champs de la transmission de l’information et de la connaissance, les supports papier sont-ils appelés à disparaître ? En effet, ils se situent dans un rapport à l’espace et au temps pouvant apparaître quelque peu archaïque. Il me faut lentement et paisiblement tourner les pages… Je dois rechercher dans les rayonnages de mon libraire de quartier cet ouvrage sur lequel nous ne pouvons pas remettre la main… Repousser un peu ma tasse à café est nécessaire pour ouvrir largement les pages du quotidien acheté au kiosque… Tout cela constituerait-il quelques restes touchants d’un passé révolu ?
Je ne le crois pas. Beaucoup d’entre nous pourraient témoigner de l’importance qu’a pu avoir dans leur parcours de vie, telle ou telle lecture. Au point de pouvoir parler d’un « avant » et d’un « après ». Pour ma part je pourrais faire allusion au choc qu’à représenté pour moi en 1975, la lecture de « La Harpe de saint François », de Félix Timmermans. Tout s’est déroulé comme si cette lecture avait été le médiateur d’une expérience humaine et spirituelle d’une rare intensité.
Contrairement à ce que l’on dit parfois, le christianisme n’est pas une religion du livre ; c’est le Christ qui est au centre ! Mais pour les chrétiens la lecture a une importance majeure. On résume parfois la Règle de Saint Benoît avec les deux mots « Ora et Labora ». Cependant il faudrait sans doute ajouter à ces deux termes « Lege ». « Prie, travaille et lis ! » La « Lectio divina » a une place essentielle dans la vie monastique et on représente souvent le moine (ou la moniale), dans sa cellule, face au Livre de la Parole qu’il rumine longuement. Il est question ici de la Parole de Dieu, de la Bible, ou d’écrits spirituels ou théologiques, mais pas seulement. Nous savons bien que les monastères étaient des foyers culturels à l’horizon bien plus large que celui limité à des ouvrages ayant pour objet la foi chrétienne. Dans notre expérience de croyants d’aujourd’hui nous trouvons parfois plus de profondeur humaine et spirituelle, dans des ouvrages littéraires profanes, que dans une apologétique chrétienne auto-référencée. Aller puiser dans toutes les richesses de la littérature, de la poésie, de la philosophie, et sonder ainsi la profondeur de l’âme humaine, c’est sans doute cela aussi être une « Église en sortie ». Pour ne prendre qu’un exemple, le grand théologien contemporain qu’était Urs von Balthasar, était d’une culture très éclectique, allant très au-delà de la théologie et de la philosophie. Nous pourrions aussi dire cela du François Varillon ou de Maurice Zundel, et de tant d’autres.
Le premier des ouvrages nous ouvrant à ce qu’il y a en nous de plus humain et de plus divin, c’est certainement la Bible. Mais cette lecture absolument fondamentale nous conduit immanquablement à aller chercher les « germes du Verbe », les « semences de l’Esprit » partout où ils se trouvent, dans les écrits que le génie humain, inspiré, peut produire.
Alors en ces temps où, à l’évidence, nous allons être invités à un profond renouvellement individuel et collectif, à un changement de monde, il est heureux que ceux qui nous gouvernent en soient conduits à se demander si les livres ne pourraient pas être considérés comme un produit de première nécessité. Certes ils le font sous la pression des libraires qui peinent à survivre face à la concurrence de la vente en ligne. Mais il y a sans doute quelque chose de plus profond dans ce renouveau d’attention aux livres ; au lieu de proximité et d’échange qu’est une librairie de quartier. Dans mon coin de ville se trouvent deux librairies au nom évocateur. L’une d’entre elles s’appelle « les Temps Modernes » et l’autre « Le Bleu du Ciel ». Il me plait à y voir un signe : des temps nouveaux, aux cieux rayonnantes, seront peut-être possibles si nous reprenons le chemin de la lecture, sans modération.
La rencontre de l’ange avec Marie, aurait-elle été possible si, par la lecture, ce moment de lumière n’avait pas été préparé ? C’est peut-être parce-que nous aurons plus souvent un livre à la main, qu’un horizon de salut pourra s’ouvrir devant nous.
Enfin, pour que nous puissions lire, il faut que certains prennent le risque d’écrire. N’hésitons pas non plus à nous essayer à cet exercice…
+ Jean-Marc EYCHENNE- Évêque de Pamiers, Couserans et Mirepoix
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