L’Urgence fraternelle
Comment, au moment d’écrire un éditorial pour les journaux diocésains, pourrions-nous faire abstraction de ce qui s’est passé ce vendredi 16 octobre 2020. Un enseignant a été lâchement assassiné devant son collège. Son agresseur estimant qu’il s’était rendu coupable d’une offense à sa religion au point d’avoir mérité la mort.
Un autre 16 octobre, en 2016, nous étions à Montségur pour irriguer de nos larmes une terre marquée elle aussi, il y a plusieurs siècles, par la violence meurtrière perpétrée au nom de la religion. Nous citions alors les paroles du Pape François, prononcées peu de jours auparavant alors que notre nation et notre Église étaient sous le choc du meurtre du Père Jacques Hamel. Depuis Cracovie il s’adressait à la jeunesse du monde entier par ces mots : « chers amis je vous invite à prier ensemble afin qu’une fois pour toute, nous puissions comprendre que rien ne justifie le sang d’un frère, rien n’est plus précieux que la personne que nous avons à côté. » Oui vraiment rien ne justifie la mort d’un frère ! Dans sa toute récente lettre sur la fraternité le Pape le réaffirme fortement en disant son opposition radicale à la peine de mort et à la guerre. Le Temple de Dieu sur terre c’est chaque personne humaine créée l’image et à la ressemblance de Dieu : « Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » (1 Cor 3,16). Existe-t-il un blasphème plus grand que celui qui nous conduit à tuer au nom de Dieu ?
L’absence de fraternité, s’exprimant par l’indifférence au malheur de l’autre, le refus de l’accepter tel qu’il est, le rejet et parfois l’agression à son égard, est le pire virus que connaisse l’humanité. Quel antidote efficace et simple pourrait nous en guérir ? – Sans doute l’engagement à faire grandir la fraternité dans notre environnement proche.
L’appel que nous voudrions faire entendre dans notre diocèse, à constituer, un peu partout sur notre territoire, de petites fraternités de proximité, ancrées dans l’écoute de la Parole de Dieu et l’attention aux autres – tous enfants d’un même Père – est un moyen à notre portée : il permettrait peut-être changer le visage de notre Église, et le visage du monde. Pourrait alors surgir ce monde plus fraternel que le Pape appelle de tous ses vœux.
Que nos rêves, nos utopies, nos chants et nos poèmes, soient à l’origine, en raison de notre engagement, d’une vraie fécondité – par la grâce de Celui qui est le frère par excellence et qui est mort pour tous : Jésus qui est frère parce qu’il est Fils. Nous ne pouvons pas nous contenter de belles déclarations, d’incantations et de vœux pieux, il nous faut agir.
« Fraternité au nom de source asséchée,
Toi que nos rivalités déchirent,
Notre miche de froment,
Notre oued en plein désert,
T’élirons-nous un jour au fronton de nos cœurs,
Sans invectives ni mensonges,
Cherchant simplement à servir les derniers ? » (Jean Lavoué, 1er octobre 2020)
Si nous n’étions pas convaincus de l’urgence qu’il y a à laisser le Seigneur cultiver en nous la fraternité, les événements dramatiques récents sont venus nous sortir de notre torpeur.
+ Jean-Marc Eychenne – Évêque de Pamiers, Couserans et Mirepoix