Le confinement, ou l’expérience « d’avoir du temps devant soi » !
Alors que, bien souvent, cette expérience n’est pas la nôtre, certains d’entre nous se sont retrouvés pendant pratiquement deux mois face à un horizon temporel illimité. Ils ont ressenti que cela suscitait un état intérieur inédit tenant au fait de :
- Ne pas savoir combien de temps tout cela allait durer…
- Ne pas être pressé de terminer ce que nous avions entamé en raison d’un autre impératif contraignant situé juste après…
- Avoir découvert ou redécouvert la grâce de vivre l’instant présent…
- Avoir été contraint de rester en repos dans un lieu, et ainsi éloigné du grand malheur de l’agitation, de la frénésie d’activité…
- Avoir goûté à des plages de silence un peu longues, peu encombrées d’agitation bruyante.
C’est comme si, sans l’avoir choisi véritablement, la maxime de Blaise Pascal, « Tout le malheur des hommes est de ne savoir pas rester en repos dans une chambre », prenait pour nous un sens, une sorte d’épaisseur existentielle.
Pour le dire autrement nous pourrions dire qu’il s’est agi de consentir à une sorte de « démaîtrise ». Il nous a fallu être dans une attitude d’abandon aux évènements sur lesquels nous n’avions pas la main. S’est ouvert, ou réouvert, devant nous un espace indéterminé, sans rendez-vous programmé et sans échéance.
Ce faisant, nous avons renoué avec notre enfance, qui est en quelque sorte cette période de la vie durant laquelle l’horizon est totalement ouvert. Nous avons été réétablis dans une posture intérieure dont nous n’étions plus capables, encadrés que nous étions (ou que nous avions choisi d’être) pour toutes sortes d’impératifs. « Si vous ne redevenez pas comme des petits enfants, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux. » (Mt 18, 3)
Et si c’était cela la vie spirituelle ! Si c’était cela vivre l’instant présent ! Alors cette période aurait été salutaire… Si cette période nous avait aidé à comprendre ce que cela signifie de vivre vraiment. Si, abandonnant les impératifs rythmant à l’excès nos journées, nos semaines…, et finalement notre vie, nous nous mettions, selon l’expression du poème de Rilke, à ne pas craindre le détour (« Ne craignons pas le détour »).
Nous sommes parfois étonnés de voir que les hommes du moyen âge, dont l’espérance de vie était bien inférieure à la nôtre, ne craignaient pas de se lancer dans de longs périples à travers l’Europe, sans se soucier du temps que cela nécessitait. C’est que leur horizon était illimité, c’était celui de l’éternité. Ils n’étaient pas des hommes ou des femmes pressés. Pensons par exemple à un saint Bernard (1090-1153) ou plus tard à une sainte Catherine de Sienne (1347-1380). Étaient-ils pour autant moins entreprenants et moins efficaces ? Il suffit de se pencher un instant sur ce qu’ils ont réalisé de leur vivant pour en être convaincu du contraire. Qu’il s’agisse de leur œuvre littéraire, des multiples fondations, de l’aide au discernement apporter à tant de contemporains, du travail diplomatique, …
Il semblerait donc que, moins on est préoccupé de caser mille choses dans un temps limité (car l’horizon est sans limite), moins on s’agite, plus on est efficace.
Aurions-nous besoin de ré-évangéliser notre rapport au temps ? Ne devrions-nous pas passer de la perspective de l’homme mortel, (préoccupé d’insérer un nombre presque infini d’œuvres à réaliser, dans un espace-temps fini), à la perspective même de Dieu. Saint Paul dirait qu’il nous faut passer de l’homme « charnel » à l’homme « spirituel », ou du « vieil homme » à « l’homme nouveau ».
La maladie spirituelle la plus grave de notre temps est sans doute l’agitation, qui nous fait quitter l’instant présent et sa saveur d’éternité. Nous sommes « “affairés” sans rien faire », selon l’expression très éclairante de l’apôtre Paul (2 Th 3, 11). Il semble que cette période de confinement forcé nous ait indiqué des chemins de guérison. Alors ne reprenons pas trop vite nos vieilles habitudes qui rendent notre agir, le plus souvent, stérile.
+ Jean-Marc Eychenne – Évêque de Pamiers, Couserans et Mirepoix