La fête de la rencontre
Le Père Abbé de Citeaux nous a adressé, le jour de la Présentation du Seigneur (qui est aussi la journée de la vie consacrée), une homélie qui donne à méditer… (février 2018)
En voici le texte intégral :
La fête d’aujourd’hui est très ancienne et elle a reçu plusieurs noms. Longtemps, on l’a appelée « fête de la purification de la Vierge Marie ». Depuis Vatican II, avec la révision du calendrier liturgique, on l’appelle « fête de la présentation du Seigneur ». Un autre nom, très populaire en Occident, lui a été donnée : c’est « la chandeleur », parce qu’on célèbre la fête en portant des chandelles (= des cierges), comme le vieillard Syméon a porté dans ses bras Jésus, la lumière qui éclaire les nations.
Mais je voudrais m’arrêter plus longuement sur un autre nom qui a été donné à cette fête, surtout par les Eglises d’Orient. Le 2 novembre, c’est la « fête de la rencontre ». Il est vrai que ce nom pourrait convenir à bien d’autres fêtes, chrétiennes… ou non chrétiennes. Nous sommes si souvent en situation de « rencontre » ! Ne sommes-nous pas constitués dans notre être profond pour vivre la Rencontre, pour vivre des rencontres ? Regardons l’évangile : La visite des bergers à la crèche, n’a-t-elle pas été pour eux une rencontre inoubliable ? Pareillement pour les mages qui ont marché à la rencontre du Roi dont l’étoile était le signe ! Quelle rencontre inoubliable aussi entre Marie et sa cousine Elisabeth le jour de la visitation ! Et combien de fois, dans l’évangile, nous voyons Jésus en situation de rencontre ! Rencontres heureuses ou pénibles. Rencontres avec les foules ou en petit comité avec les apôtres. Rencontres seul à seul avec un homme (Nicodème) ou avec une femme (la samaritaine). Rencontres avec les malades ou les bien- portants. Rencontres avec des politiques (Pilate, Hérode) ou des bandits comme à la croix. Et même quand Jésus se retire seul dans la montagne pour prier, n’est-il pas en situation de rencontre ? N’est-ce pas pour lui la rencontre suprême, la plus réconfortante, la plus heureuse, avec Celui qui est son « Abba », son Père chéri et béni, Celui qu’il ne quitte jamais sinon pour se laisser envoyer au-devant des brebis qui l’attendent ?
Mais alors pourquoi appelle-t-on « Rencontre » la fête d’aujourd’hui ? Qu’a-t-elle de si particulier que n’ont pas les autres rencontres de Jésus ? C’est que, aujourd’hui, Jésus fait sa première sortie officielle, publique. A la crèche, les bergers se sont déplacés pour le voir. Les mages d’Orient, eux aussi, se sont déplacés pour le voir. Mais là, c’est lui qui se déplace, c’est lui qui va au-devant de ceux qui l’attendent. Porté par Marie et Joseph, il vient pour la première fois à Jérusalem, la ville sainte, et pas n’importe où dans Jérusalem : dans le Temple. Première sortie officielle de Jésus. Première montée à Jérusalem. Première entrée dans le Temple. Le Temple, c’est la Maison de Dieu, la Maison de prière pour tous les peuples, la Maison où le culte qui plaît à Dieu lui est rendu jour et nuit en présence des anges.
Et là, qui rencontre-t-il ? Deux vieillards : un homme et une femme. Un homme juste et religieux, Syméon. Il attendait la Consolation d’Israël, et l’Esprit Saint était sur lui. « L’Esprit lui avait révélé qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Messie du Seigneur ». Et il rencontre une vieille femme, Anne, demeurée veuve après sept ans de mariage, et qui avait atteint l’âge de 84 ans. Elle ne s’éloignait pas du Temple, servant Dieu jour et nuit dans le jeûne et la prière.
Par-delà le côté touchant de cette scène évangélique, il s’en dégage un niveau de profondeur qui fait de cette rencontre le modèle de toute rencontre réussie. Qui en est l’agent principal ? C’est Dieu ! Père, Fils, et Saint Esprit. Le Père que le Fils vient honorer dans son Temple, et l’Esprit qui œuvre en chacun de ceux qui se rencontrent, les jeunes (Marie et Joseph), et les vieux (Syméon et Anne). Ils se rencontrent dans le Temple, chez Dieu et en Dieu, et ils s’ouvrent ensemble au mystérieux dessein de Dieu sur leur vie et sur la vie du monde : « ton fils provoquera la chute et le relèvement de beaucoup en Israël. Il sera un signe de division. Et toi-même, ton cœur sera transpercé par une épée ».
Puisque cette fête est la fête de la vie consacrée, je voudrais inviter ceux et celles d’entre nous qui sont religieux ou religieuses à se poser quelques questions en rapport avec l’évangile de la présentation du Seigneur au Temple. Je crois qu’il ne sera pas très difficile pour les prêtres qui nous font la joie d’être avec nous pour cette belle fête de trouver un écho possible pour eux-mêmes à ces questions :
– Un jour, après un temps de discernement plus ou moins long, j’ai fait au Seigneur l’offrande de toute ma vie. Est-ce qu’aujourd’hui, après 10, 20, 50, 70 ans de vie religieuse, je crois encore à la valeur de cette offrande, quelles qu’ait été par ailleurs le poids mes lâchetés ? C’est si grand une vie consacrée ! Aujourd’hui je peux renouveler mon offrande dans l’offrande même de Jésus!
– Il n’y a pas de vie consacrée sans appartenance à une communauté fraternelle. Dans ma communauté, est-ce que je suis quelqu’un de facile à rencontrer ou pas ? Est-ce que suis facilement abordable ? Est-ce que je vais volontiers à la rencontre de mes frères (ou de mes sœurs) ou est-ce que j’ai plutôt tendance à fuir toute rencontre avec eux ?
– Chose étonnante dans l’évangile de la présentation : Jésus, la Parole faite chair, ne parle pas, et pourtant il facilite la rencontre entre les jeunes et les vieux. Est-ce que, par ma manière d’être, je suis un facilitateur de rencontres ou un obstacle ? Est-ce que j’aime venir au Temple, à l’église, à l’oratoire où, sur l’autel, j’ai déposé et signé ma charte de profession monastique ? Mes rencontres cœur à cœur avec Dieu, ou corps à corps avec mes frères dans la liturgie, sont-elles de la mécanique sans âme, ou au contraire les grands moments de ma vie, les moments de grâce où tout s’éclaire à la lumière du Christ et respire au souffle de l’Esprit ?
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Bonne lecture !