Le sacerdoce ministériel est tout entier placé à l’ombre de la Miséricorde
Non pas d’abord au sens où nous pourrions l’entendre spontanément. Nous ferions alors allusion aux prêtres, ministres du sacrement du pardon. Mais plutôt ici en voulant indiquer que ceux qui ont reçu le sacrement de l’ordre sont, au moins de trois façons, destinataires de la Miséricorde.-
Premièrement.Dans l’appel reçue malgré notre misère, ou à cause d’elle.
Deuxièmement. Dans l’efficacité de notre agir indépendante de notre dignité.
Troisièmement. Dans ce qu’il nous est donné de contempler de l’action miséricordieuse de Dieu parmi les membres de son peuple.
Alors oui, comment sommes-nous (diacre, prêtre, évêque), en situation permanente d’accueil de l’amour inconditionnel de Dieu ?-
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Premièrement donc, dans l’appel de Dieu reçu malgré notre misère(et peut-être même, mystérieusement, à cause d’elle)
Le Pape François, le 10 septembre 2015 s’adressant aux évêques fraîchement nommés ou ordonnés disait ceci : « Vous êtes évêques de l’Église, récemment appelés et consacrés. Vous êtes venus d’une rencontre unique avec le Ressuscité. En traversant les murs de votre impuissance, Il vous a rejoint par sa présence. Bien qu’il connaisse vos reniements et vos abandons, les fuites et les trahisons. Malgré cela, Il est arrivé dans le Sacrement de l’Église, et a soufflé sur vous.»
Comment pourrions-nous nous imaginer que nous ayons été appelés en raison de nos qualités d’intelligence ou de l’héroïcité de nos vertus ? Un séminaire n’instruit pas le procès de canonisation de ceux qui y sont accueillis, et ne constitue pas non plus un jury d’attribution des palmes académiques. Il prend le temps de vérifier (avec toute la marge d’incertitude que cela comporte) que le désir des candidats corresponde vraiment à l’appel gratuit du Seigneur.
Quel défi que celui de ce discernement !
En effet, nous pouvons être une « pointure » intellectuelle, ou encore un grand spirituel sans pour autant avoir été gratuitement choisi par Dieu pour être marquée du sceau de l’ordination.
… «Choisiparce que pardonné» (« Miserando atque eligendo »)… selon la devise du Pape François.-
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Nous sommes placés encore, d’une seconde manière, à l’ombre de la Miséricorde.
À chaque fois que nous constatons que notre ministère connaît une certaine efficacité, même dans les moments où nous sommes loin du Seigneur.
La validité des sacrements ne dépend pas de la dignité des ministres de ce sacrement. Saint Augustin dans sa lutte contre l’hérésie donatistes nous a définitivement éclairé sur cette question.
Nous sommes comme ce petit âne choisi par le Seigneur pour son entrée « triomphale » à Jérusalem le jour des Rameaux. Des instruments si modestes… qui, pourtant, sont dépositaires de la présence de Dieu. « Le Seigneur sait faire des ânes que nous sommes des instruments pour sa mission, … Sur nos manteaux d’orgueil Jésus s’assied et fait passer son attelage. » (P. Arnaud Alibert) Même aux jours où il nous semble être, intérieurement, presque détruits, ou pour le moins très inconsistants, quand mille angoisses habitent notre cœur, pourtant le Seigneur passe et consent à agir à travers nous. Splendeur de la Miséricorde !
« Ô merveille, qu’on puisse ainsi faire présent de ce qu’on ne possède pas soi-même, ô doux miracle de nos mains vides ! » (Bernanos – Le journal d’un curé de campagne)
Oui, vraiment, mes mains sont vides, mais le Seigneur œuvre malgré tout à travers elles.-
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Enfin nous sommes d’une troisième manière à l’ombre de la Miséricorde.
Lorsqu’il nous est donné de contempler l’action de la Miséricorde de Dieu chez les autres.-
Tant que nous sommes capables encore, depuis l’endroit où nous sommes (comme ministres), de nous émerveiller de l’action de Dieu, alors nous ne pouvons que remercier le Seigneur de cet inestimable cadeau. Tant de fois, nous contemplons Dieu qui saisit l’âme, le cœur, le corps ; l’entièreté d’une personne. Il nous est donné de voir cela… Tout comme il est donné au randonneur, après la pénible et douloureuse ascension, d’être transporté par la beauté du paysage.-
Quand faisons-nous cette expérience ? – dans l’accompagnement des catéchumènes ; lorsqu’à Saint-Jacques-de-Compostelle nous recevons ceux qui arrivent au terme d’une longue route extérieure et intérieure ; lorsque dans un entretien spirituel nous prenons la mesure du chemin parcouru par une personne ; lorsque dans le sacrement du pardon nous nous trouvons tout petits face cette sainteté cachée au cœur d’une personne qui semblait si ordinaire…
Cet émerveillement nous libère de nous-même, « Et c’est à ce moment-là, justement, que la vie atteint son sommet, quand cessant de vous regarder, vous n’êtes plus qu’un regard vers l’autre. A ce moment-là, sans revenir à vous, vous sentez que vous êtes là, que vous existez comme jamais dans une joie immense mais très pure et dépouillée, une joie qui est encore offerte à cette beauté en laquelle vous vous perdez. » (Maurice Zundel – Dieu c’est quand on s’émerveille)-
De multiples manières Dieu donc manifeste sa Miséricorde à ceux qu’il a choisi comme ministres ! N’oublions pas cependant de préciser que tout ce que nous disons ici ne peut nous inviter à nous complaire dans nos insuffisances et nos ténèbres, voire à les justifier. Mais cet émerveillement devant la Miséricorde de Dieu à notre égard va devenir le puissant moteur de notre conversion, susceptible de rendre notre ministère infiniment plus fructueux qu’il ne l’est. Cette contemplation nous purifie peu à peu des incohérences des nos chemins d’hommes, de disciples de Jésus, et de ministres de sa grâce.
Oui vraiment, le sacerdoce ministériel est placé à l’ombre de la Miséricorde de Dieu, alors soyons dans la joie et l’action de grâce d’avoir été appelé gratuitement à être ces pauvres instruments entre les mains de Dieu. Dieu qui nous donne à voir tant de merveilles dans l’exercice de notre ministère.
C’est alors sans peur, et avec enthousiasme, que nous renouvellerons les engagements de notre ordination et que, dans le même temps, par la voix de l’évêque, l’Église du Verbe Incarné nous redira sa confiance.
+ Jean-Marc Eychenne – Évêque de Pamiers, Couserans et Mirepoix