Appel à la vigilance :
La personne et le vivre ensemble en danger
La montée dans notre société d’attitudes individualistes empreintes de ressentiment et de colère, mettent en danger la possibilité de bâtir ensemble un monde commun. L’Action des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture, inquiète de ces tendances, qui pourraient – l’histoire des 90 dernières années l’a montré – mener au pire, lance un Appel à la Vigilance.
Un Constat
Il y a longtemps déjà, la mondialisation, ainsi que les migrations, avaient contribué à faire émerger chez nos concitoyens les plus fragiles un sentiment d’abandon et d’injustice devant les inégalités. Ainsi certaines protestations peuvent être considérées comme légitimes.
Mais depuis quelques années, nous assistons – en France et dans d’autres pays – à la montée de nouveaux courants provoqués par la peur, imprégnés de ressentiment et de colère contre les symboles mêmes de la démocratie. Ces courants ne font plus confiance aux autorités, qu’elles soient politiques, scientifiques, judiciaires ou éducatives, et refusent tout type de représentation. Ils ne croient plus au débat démocratique, n’envisagent pas de dialogue respectueux et semblent imperméables à tout argument susceptible d’interroger leurs certitudes. Ils se nourrissent, sans esprit critique, des mensonges et fausses nouvelles qui circulent sur les réseaux sociaux et participent des poussées complotistes, qu’ils contribuent à alimenter. Ces courants, alimentés par l’hyper individualisme**, conduisent à des dérives de violence, de haine, d’insultes et constituent une menace grave pour l’État de droit.
Certains évènements récents en ont fourni la triste illustration :
– Aux États-Unis, avec les courants conspirationnistes, tels les adeptes de la secte QAnon, encouragés par Trump
– Au Brésil avec Bolsonaro, champion des « fake news »
– En France avec certains débordements inadmissibles des Gilets jaunes et le développement d’initiatives complotistes.
L’individualisme, par lequel s’exerce une pensée personnelle, émancipatrice, déjà présent dans le Nouveau Testament, conceptualisé de manière positive au siècle des Lumières, n’a pas historiquement de coloration négative. Mais on assiste aujourd’hui à un dévoiement de cet individualisme : centré sur lui-même, égoïste, libre de tout, empreint d’un relativisme par rapport à la vérité, porté par l’idéologie de la toute puissance. Ainsi nait à bas bruit, une forme de néo-populisme, caractérisé par cet hyper-individualisme, menace pour le vivre ensemble, la solidarité, la fraternité, l’humain avec l’impossibilité de faire société. Il diffère du populisme politique des partis extrêmes, mais n’est pas sans lien avec lui. Le populisme politique tente de récupérer ces colères et de les radicaliser. Il en résulte de ce fait un risque pour l’État de droit et donc les droits humains.
Certains sociologues, philosophes, psychanalystes ou journalistes analysent la responsabilité des réseaux sociaux à cet égard. Certes il ne s’agit pas de méconnaître ce que les réseaux sociaux apportent en communication, mais ils contribuent aussi à enfermer l’individu dans son système de certitudes et permettent par l’anonymat des attaques personnelles. Trop souvent l’espace numérique n’est pas utilisé pour débattre, mais pour s’illustrer et s’affronter. Le séparatisme numérique représente un mal certain en fonctionnant sur un mode de réseaux qui ne rassemblent que des semblables (comme l’épisode dramatique de la Tour de Babel). Chacun y cherche à rencontrer un lointain semblable, plutôt qu’un prochain différent.
Pourquoi l’ACAT est–elle concernée ?
Tout d’abord elle constate que ce néo-populisme, qui se manifeste par des poussées de haine et de violence à l’égard des autorités ou de l’autre différent, conduit à des atteintes aux droits humains, pouvant prendre la forme de harcèlement, de traitements cruels, inhumains ou dégradants et même de tortures. Un monde Tortionnaire, dernière édition de l’ouvrage de l’ACAT, en apporte clairement l’illustration, notamment par ce qui se passe dans les prisons. Les 13 exécutions décidées par Trump entre juillet 2020 et janvier 2021 en sont aussi un triste exemple.
Ainsi l’ACAT est concernée à plusieurs titres :
– Elle combat la peine de mort et les traitements cruels, inhumains, ou dégradants, qui déshumanisent l’être humain.
– Son action vise à révéler la vérité que d’autres cherchent à cacher : il s’agit bien de démasquer le mensonge.
– Sur un plan plus politique, elle est persuadée que cet hyper individualisme est une menace pour « le vivre ensemble » dans notre pays et la démocratie.
Le combat de l’ACAT se fonde sur la Parole de Dieu
Nous croyons que Dieu est un Dieu vigilant (Jr. 1,12) et qu’Il nous établit comme guetteurs (Ez. 33,7). Jésus nous appelle à Le suivre (Luc 9,23) en plaçant le commandement d’amour au-dessus de tout autre (Mat.22,39 et 25,40)
C’est ce commandement qui doit inspirer notre rôle de citoyen dans la cité : l’appel à la fraternité, le souci de construire avec les autres un monde où chacun ait sa place et parallèlement de renoncer à toute forme d’hyper individualisme destructeur qui risquerait de porter atteinte à l’État de droit.
L’ACAT lance un appel
L’ACAT pense opportun de lancer un appel à la vigilance à destination de tous les chrétiens de France et de leurs ministres : un appel visant à mettre en garde et à alerter sur les formes de néo-populisme évoquées plus haut, qui peuvent mettre en péril nos convictions, notre mode de vivre ensemble dans la fraternité. Cette vigilance, nécessaire au nom de notre foi sur ce qui se passe dans le monde, touche aussi la vie interne de nos Églises, et nous avons à nous interroger dans ce domaine. Il ne s’agit pas d’un Manifeste, ni d’une Déclaration moralisatrice portant jugement ou mettant en cause tel ou telle, mais d’un Appel qui se veut prophétique, c’est-à-dire une parole qui interpelle chacun d’entre nous.
ACAT–France (commission Théologie et groupe Sensibiliser les Eglises, 13/09/2021)