Un carême pour faire mémoire des merveilles que le Seigneur a faites dans ma vie
Bénis le Seigneur, ô mon âme, n’oublie aucun de ses bienfaits. (Ps 102, 2)
Le désert où le Seigneur nous conduit est le lieu de la mémoire. Le retour sur soi, la relecture de notre passé, l’observation rétrospective de notre chemin de vie, sont des étapes essentielles de notre vie spirituelle.
Il ne s’agit pas tant, ou principalement, de nous remémorer les pages les plus sombres ou les plus douloureuses de notre histoire et ainsi de risquer de nous enfermer exclusivement et complaisamment dans la lamentation ou dans une culpabilité malsaine. Certes une étape de contrition, dans laquelle nous reconnaissons humblement que nous avons été de connivence avec les ténèbres, doit se vivre, mais pour nous relever il convient surtout de faire l’anamnèse, de faire mémoire, des instants de grâce qui constituent comme les fondations du meilleur de ce que nous sommes. Dieu, à tel ou tel moment, bien souvent sans que je m’y attende, est venu me saisir avec la puissance de son amour. Il m’a fait faire des pas considérables sur mon chemin de disciple. Il me faut donc fermer un peu les yeux et retrouver, en mon for intérieur, ces premiers émois amoureux. Je dois veiller à ne pas tomber sous le coup du reproche de l’ange au début du livre de l’Apocalypse : « Mais j’ai contre toi que ton premier amour, tu l’as abandonné. » (Ap 2, 4)
Quelles sont ces phares, encore lumineux, qui ont par le passé éclairé ma route, et que je peux discerner à nouveau dans la tempête ? Si je fixe mon regard sur eux, ils vont me reconduire au port. Pour certains il s’est agi d’une rencontre avec un témoin d’Évangile ; pour d’autres d’un temps de retraite dans un centre spirituel ou d’un pèlerinage ; pour d’autres encore cela a été associé l’expérience d’une épreuve avec son lot de découverte de l’essentiel… Nous seuls pouvons dire quels ont été ces moments clés, personne n’est habilité à faire ce travail à notre place.
Me pliant moi-même à cet exercice, je peux me souvenir, par exemple, de ce moment : alors que je n’étais pas encore majeur, la lecture d’une vie de Saint François d’Assise (La Harpe de Saint François, de Félix Timmermans), a, je crois, transformé radicalement ma vie chrétienne. Je n’ai pas relu ce texte depuis presque 50 ans, mais reste imprimé en moi ce que le Seigneur a produit par son intermédiaire. Alors, cette année 2021, je me propose d’emporter ce livre au désert du Carême (ce sera ma lecture spirituelle) et, en le relisant, je pourrai faire mémoire de ce que le Seigneur a fait pour moi. Oui je voudrais (mais au fond c’est le Seigneur seul qui en décidera), retrouver l’amour de ma jeunesse !
Toute la liturgie chrétienne, à commencer par l’Eucharistie, n’est que mémoire-active, de l’action de Dieu pour son peuple. C’est cette grande action de grâce qui se déploie durant la Vigile Pascale. Et si nous arrivions, chacun et chacune, le soir de la célébration de la Pâque, riches de la redécouverte des merveilles que Dieu a fait pour nous à tel ou tel moment de notre histoire personnelle ? Nous pourrions écrire ce récit, cette « anamnèse », sur une feuille de papier secrètement posée sur notre cœur…
Le défi est sans doute, comme l’écrivait joliment le frère François Bustillo (dans son livre « La vocation du prêtre face aux crises »), de refuser d’être des amnésiques, et de désigner ces moments où, dans nos vies, le Seigneur est venuilluminer nos ténèbres, nous releverde nos tombeaux, nous arracher à nos esclavages.
« La parole du Seigneur me fut adressée : Va proclamer aux oreilles de Jérusalem : Ainsi parle le Seigneur : Je me souviens de la tendresse de tes jeunes années, ton amour de jeune mariée, lorsque tu me suivais au désert, dans une terre inculte. Israël était consacré au Seigneur, première gerbe de sa récolte… » (Jr 2, 1-3)
+ Jean-Marc Eychenne – Évêque de Pamiers, Couserans et Mirepoix