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CHRIST ROI DE L’UNIVERS

Commentaire de Frère Emmanuel – Abbaye d’En Calcat  :Lc 23, 35-43 

Cette année, pour le dimanche du Christ Roi, l’Évangile selon saint Luc nous jette immédiatement dans le paradoxe de cette fête liturgique. « Roi des juifs », ce titre est attribué à Jésus non pas comme un titre de gloire mais comme une dérision. Insulte adressée par les romains autant aux juifs qu’à Jésus d’ailleurs : « il est votre Roi ? D’accord, mais regardez ! Roi des minables, des perdants, des condamnés. Roi nu. Roi crucifié. »
Mais alors, si Jésus est vraiment Roi, et c’est ce que nous dit aujourd’hui l’Église, comment l’est-il ? Roi dérisoire ou Roi de gloire ? En fait, question plus fondamentale encore, Jésus est-il vraiment Roi à la manière dont nous pensons la royauté, le pouvoir ? Il est à noter que lui même, dans les évangiles, ne s’attribue jamais le titre de Roi. Il y a bien trop d’ambiguïté. Saint Jean nous rapporte même qu’il fuit, après la multiplication des pains, lorsque la foule est sur le point de se saisir de lui pour en faire son Roi. Au fil de l’Évangile, s’il parle volontiers du Royaume ou du Règne, Jésus s’est plutôt défini comme un berger, comme un serviteur, comme un frère aîné, voire comme un ami ; juste avant la Passion, quelle royauté venait-il d’instaurer en lavant les pieds de ses disciples ?
Quelques versets avant l’Évangile que nous venons d’entendre, au moment de sa comparution devant Pilate, le qui pro quo sur le titre de Roi est à son maximum. Jésus est-il Roi ? C’est la question que pose Pilate. Non, il ne l’est pas à la manière de ce monde. Réponse qui laisse entendre qu’il l’est, d’une autre façon. Décidément, son règne diffère radicalement de celui de César ou de celui de Pilate.
Oui, il est Roi. Mais Roi de l’Univers, et sans ce titre universel, nous nous tromperions de royauté, car il englobe toute la Création et tous les temps. Il n’est pas le Roi d’un espace, d’un territoire, un Roi partiel. Ni Roi d’un peuple particulier, d’une ethnie, d’une Église, un Roi partial ; mais il est Roi du temps. Et c’est d’une nature tout autre que celle des pouvoirs divers que nous connaissons. Le mandat du Christ est illimité et il recueillera tout à la fin des temps. C’est pour cela que son règne peut s’exercer dans la liberté et la douceur. Il a le temps pour lui. Pas de plus grande force !
Qu’est-ce que cela peut signifier pour nous concrètement que le Christ soit Roi de l’univers, Roi du temps ? C’est que nous pouvons avoir confiance en l’Évangile, en la bonne nouvelle du salut offert à tous, en la force de l’amour. C’est cela, et cela uniquement qui demeurera. Notre présent acquiert un poids d’éternité dès lors qu’il est rempli de l’amour en acte auquel nous appelle l’Évangile. C’est cet amour et uniquement cet amour qui restera intact à la fin des temps : voilà ce que signifie le Christ Roi. Pas à pas, jour après jour, le Royaume grandit avec tout amour qui se dit et qui se fait.
Le Christ Roi, vainqueur à la fin des temps est à ce point solide qu’il nous donne aujourd’hui la force de risquer d’aimer plutôt que de haïr, de pardonner plutôt que de se venger, d’entrer dans la douceur, la patience, le don de soi pour la vie de l’autre plutôt qu’un égoïsme forcené.
Dieu règne sur tout amour et sur toute vérité qui s’est fait jour depuis la création du monde. Il est un Roi qui mendie amour et vérité dans nos vies, qui nous demande de consentir à son règne qui libère, un Roi sans cesse à la merci d’un refus, d’un reniement, un Roi sans armée, un Roi nu, vraiment, mais dont le règne seul restera, à la fin de l’Histoire.
C’est pourquoi toute autorité reçue du Christ ne peut s’exercer que sur des libertés, ne peut se vivre que dans le consentement. On comprend combien ce Royaume du Christ est fragile lorsqu’on le regarde depuis notre aujourd’hui et fort dans la récapitulation finale où ne subsistera que l’amour. Ce Royaume aura la dimension de notre liberté, de notre consentement. Plus nous serons libres pour aimer, plus le territoire du Christ s’étendra.
Déclarer le Christ Roi de l’Univers, c’est affirmer que la Royauté du Christ ne manque jamais son but. S’il est un Roi rejeté, cloué sur une croix, c’est pour rejoindre les condamnés, pour régner sur les exclus. S’il est un Roi perdu aux yeux du monde, c’est pour être avec les brebis perdues. Roi assis à la table des mauvais sujets, jeune Roi qui brise les vieilles entraves, Roi qui fuit le pouvoir pour donner la liberté, Roi qui cherche à tout prix, non pas à conquérir, mais à partager son royaume et son règne : il veut des frères et des sœurs, c’est-à-dire des cohéritiers.
En cette Eucharistie, le Roi de l’Univers s’approche. Allons communier à sa force, à sa victoire définitive sur la mort pour être témoins, aujourd’hui, de la douceur de son amour.

Frère Emmanuel