Une Église en état de sortie, manifestant l’amour de Dieu pour tout homme

par | 26/02/2018

 

Une Église en état de sortie

« Quand ils eurent mangé, Jésus dit à Simon-Pierre : “Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment, plus que ceux-ci ?” Il lui répond : “Oui, Seigneur ! Toi, tu le sais : je t’aime.” » Jésus lui dit : “ Sois le berger de mes agneaux. ” » Jn 21, 15

Conduire ses brebis en estive, sur de verts pâturages, cela signifie les inviter à sortir de l’enclos confortable et sécurisant pour s’ouvrir sur le vaste monde. Le berger sait fort bien – et les brebis avec lui – que la montagne présente des dangers (l’égarement ; la chute ; les prédateurs ; etc.). Mais l’altitude est aussi le lieu de l’herbe grasse, des splendides paysages, des cieux étoilés, et de belles rencontres avec les chercheurs d’absolu.

« Je préfère une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une Église malade de la fermeture et du confort de s’accrocher à ses propres sécurités »,  nous dit le Pape François (La joie de l’Évangile – n° 49). Il nous invite à vivre une transformation missionnaire, à être « une Église en état de sortie ». Ce dynamisme de la mission, de la sortie de soi, est celui même de la Vie Trinitaire, dans l’œuvre de création et dans celle du salut en Jésus-Christ. La mission, c’est la raison d’être de l’Église du Christ. Si elle perd cela de vue, en se repliant sur elle-même, en étant auto-référencée, elle n’est plus l’Église du Verbe Incarné, l’Église de Dieu, mais une institution humaine parmi d’autres.

Il nous faut demander la grâce (au-delà des dons ou des limites de notre nature, de notre caractère, de nos timidités ou de nos audaces), d’être des hommes et des femmes que Jésus tourne vers l’extérieur. A la messe (notre bergerie) nous sommes rassemblés, enseignés, guéris, nourris, fortifiés pour être envoyés, non pas pour rester entre nous ! La dimension ultime de l’Eucharistie – l’envoi – a beaucoup plus d’importance qu’on ne l’imagine parfois. Comme le berger et ses moutons, nous avons besoin d’une bergerie, mais elle n’est pas une fin en soi.

Employant une autre image, celle du bateau, Madeleine Delbrêl ne dit pas autre chose lorsqu’elle moque la tentation du marin-explorateur (que nous sommes) de ne pas quitter son navire : « Le Bateau Église… Les voiles bombent sous des tempêtes de grâces, le bateau accoste des terres sans croix : assis en rond au fond de la cale, nous discutons de ce qui se passe sur les deux mètres carrés qui sont nôtres… »

Mais alors cet appel à la mission signifie-t-il que nous sortons à la rencontre des autres dans le but, plus ou moins avoué ou avouable, d’en faire des adeptes de notre « voie », des disciples de Jésus ? Est-ce cela que nous devons comprendre de l’épilogue de l’Évangile de Matthieu, « Allez, de toutes les nations, faites des disciples : baptisez-les, au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit… » (Mt 28,19) ?

Les baptiser, cela veut dire les immerger, les plonger, dans l’amour de Dieu. Nous sommes chargés d’aimer tous les hommes de l’amour même de Dieu, de l’amour trinitaire. L’Église, disait le Cardinal Journet, c’est « l’épanchement de la vie trinitaire au sein du temps ». Notre mission n’est pas de convertir ceux que nous côtoyons, cela c’est l’affaire de Dieu. Notre mission c’est de les aimer comme Dieu (donc avec Lui et en son Nom), d’un amour inconditionnel.

Renonçant au prosélytisme, la démarche qui nous conduit à la rencontre d’autrui, doit être empreinte de la gratuité de l’amour. Nous ne souhaitons pas gagner l’autre à nous-même, mais l’aimer, simplement, sans rien attendre en retour. Le dialogue engagé, à la fois respectueux et vrai, nous conduira aussi à donner joyeusement le témoignage de ce qui est notre source profonde : la foi en Jésus-Christ. Mais nous nous retrouverons volontiers dans cette recommandation de saint François de Sales : « Ne parle de Jésus que si on te le demande, mais vis de telle sorte qu’on te le demande. » Une société pluriculturelle et pluri-religieuse, comme la nôtre, ne peut pas vivre dans la paix, sans que chacun choisisse de renoncer à tout prosélytisme religieux ou idéologique. Chrétiens, pour notre part, nous aurons besoin de nous doter d’une vraie éthique du dialogue, que l’on pourrait qualifier de «chaste». Amis ariégeois  -devrions-nous pouvoir dire- nous ne venons pas vous rencontrer, avec l’intention cachée de vous voir rejoindre notre Église !

Sans doute est-il important que nous entendions cet appel du Pape François : « La pastorale en terme missionnaire exige d’abandonner le confortable critère pastoral du “on a toujours fait ainsi”. J’invite chacun à être audacieux et créatif dans ce devoir de repenser les objectifs, les structures, le style et les méthodes évangélisatrices de leurs propres communautés. » (La Joie de l’Évangile n°33)

Si nous laissions l’Esprit (artisan de notre démarche synodale) nous indiquer de nouveaux chemins ?

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Quelques questions pour un partage :

–        Quelle part de mon temps, de mes forces, le Seigneur me conduit-il à dédier à la rencontre et au dialogue, avec ceux et celles qui ne font pas partie de mes cercles habituels (famille, travail, association, communauté chrétienne) ?

–        Comment pourrions-nous mettre en valeur la dimension de l’envoi dans nos assemblées eucharistiques ?

–        Vers qui vais-je spontanément à la sortie de la messe et quels sont ceux que je risque de laisser de côté ?

–        Quelle démarche de « sortie », de rencontre, suis-je (sommes-nous) prêts à expérimenter pour changer mon style de vie (personnel et communautaire) ?

–        Nos foyers, églises, maisons paroissiales, maisons diocésaines, sont-ils assez ouverts et accueillants ? Quelles sont les craintes qui m’habitent par rapport à la rencontre ?

–        Quels  sont les moyens modernes (outils numériques, réseaux sociaux) et ceux, plus traditionnels (journaux, visites, espaces conviviaux), qui me servent à vivre la rencontre avec d’autres ?

–        Suis-je reconnu comme chrétien, sur mon lieu de travail, sur la place du marché ou au café de mon village? M’est-il déjà arrivé de parler de cette dimension de ma vie et, si oui, pourquoi ?

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+ Jean-Marc Eychenne – Évêque de Pamiers, Couserans et Mirepoix