Lire au cœur des ténèbres

par | 11/04/2022

 

Lire pour résister au malheur,

Lire pour revivre au cœur des ténèbres

Ce qu’il a de plus singulier dans la Vigile Pascale ne se trouve peut-être pas dans la liturgie baptismale ou celle de l’Eucharistie, qui constituent les fondamentaux ordinaires de la vie en Église, mais sans doute plutôt dans cette lecture paisible et lente de l’Histoire du Salut, venant peu à peu illuminer nos ténèbres. Ce sont la lecture et la proclamation de la Parole, qui nous empêchent de sombrer dans le désespoir, et nous préparent à la victoire éclatante du Christ sur toutes les puissances de mort.

Ces dernières semaines nous avons eu accès à des images terrifiantes des populations civiles de Marioupol soumises à des bombardement presque incessants, obligées de fuir – quand elles le peuvent – ou de se terrer dans des abris souterrains. Où trouver, en de telles circonstances, une certaine capacité à ne pas désespérer de l’humanité, une force de vie permettant de prendre soin des enfants et des plus fragiles, une envie de dessiner un avenir de paix, un espoir de voir les ténèbres de la nuit reculer et être illuminées par autre choses que le feu des explosions ? 

Deux ouvrages apportent des éléments de réponse, faisant étonnamment écho à ce que chaque année nous ritualisons dans la nuit de Pâques.

Le premier, « La librairie des rêves ensevelis », de Madeline Martin, met en scène de façon romancée les bombardements de Londres durant la seconde guerre mondiale et la capacité de résilience que trouvent dans la lecture certains habitants, leur permettant de faire face aux drames de destruction, de blessures, et de mort, qui marquent leur quotidien. Des lectures publiques sont organisées à l’initiative d’une jeune libraire, dans les abris, ou les tunnels du métro. Cela réenchante quelque peu ces cieux noircis par les ombres et les bruits effrayantsdes bombardiers ou des batteries anti aériennes.

Le second, « Les passeurs de livre de Daraya », de Delphine Minoui, est plus saisissant encore. C’est un véritable reportage, relayant le témoignage et les paroles en provenance de cette ville martyre (assiégée, bombardée et affamée), qui a vu naître une étonnante bibliothèque souterraine dans les entrailles de l’enfer. Là aussi les livres, la lecture et même l’écriture vont devenir la planche de salut de nombre de protagonistes. Notre auteur sait trouver les mots justes pour nous rendre compte de cet inédit chemin de résistance :« Face aux destructions infligées par les bombes, ils n’ont pas seulement sauvé des livres. Ils ont bâti des mots. Érigé des syntaxes. Jour et nuit, ils n’ont jamais cessé de croire en la vertu de la parole. A son invincibilité. Ils ont rompu le silence, relancé le récit. Construit un langage de paix. Avec leurs ouvrages, leurs slogans, leurs revues, leurs graffitis et leurs créations littéraires, ils ont résisté jusqu’au bout à la métrique militaire, inventé une autre cadence que celle des coups de canon. La laideur de la guerre surpassée par le verbe. Un mémorial de mots, sans domicile fixe, pour la génération d’après.»

Il nous faut lire, à temps et à contretemps ; c’est sans doute le plus modeste et le plus utile geste d’humanité que nous puissions poser. Littérature, poésie, histoire, science, contes, nouvelles, romans, etc. Et aussi, évidemment, nos grands textes religieux…    

Alors, quant à nous, de façon renouvelée, au cœur de nos ténèbres personnelles et collectives, dans la nuit de Pâques, nous allons à notre tour « croire en l’invincibilité de la parole ». C’est le Verbe de Dieu qui aura le dernier mot ! Et ce mot c’est la Vie, c’est la Paix, c’est la Communion entre tous. Même si nous sommes loin d’un lieu de célébration lors de la nuit du Samedi Saint ; et que nous ne célèbrerons l’Eucharistie et les baptêmes que le dimanche, dans cette nuit allumons un cierge et lisons longuement… Cette lecture de l’Histoire du Salut, dit la fidélité de Dieu, la constance de son amour, la victoire finale sur la haine, l’injustice, la souffrance et la mort. 

Bonne(s) lecture(s) à chacun !

+ Jean-Marc Eychenne – Évêque de Pamiers, Couserans et Mirepoix