Comprendre le créricalisme

par | 27/02/2019

 

Nos amis de l’hebdomadaire La Vie nous proposent ces éléments de réflexion.

On peut aussi regarder sur cette vidéo ce qu’en dit l’évêque auxiliaire de Lyon.

En fait… le cléricalisme, c’est quoi ?

La Vie – Publié le 11/10/2018 – Sophie Lebrun

« Le cléricalisme, favorisé par les prêtres eux-mêmes ou par les laïcs, engendre une scission dans le corps ecclésial qui encourage et aide à perpétuer beaucoup des maux que nous dénonçons aujourd’hui. Dire non aux abus, c’est dire non, de façon catégorique, à toute forme de cléricalisme. » Face à la crise des abus sexuels sur mineurs dans l’Église catholique, le pape a appelé tous les baptisés à lutter contre le « cléricalisme » dans sa lettre au peuple de Dieu rendue publique fin août. Mais ce n’est pas la première fois que François fustige cette « attitude »qu’il décrit comme un « danger »: « Le cléricalisme est une attitude négative. Et elle est complice car elle se fait à deux, comme le tango qui se danse à deux. »

Et ailleurs dans l’Église, comment comprend-on ce mal ? « Qu’est-ce que le cléricalisme ? Je crois que c’est d’abord une question difficile, note Linda Caille, journaliste et auteure de Les Cathos(2017, Tallandier). Difficile parce que cela peut dépendre de chacun. Pour ma part, j’y vois la protection de la hiérarchie et de ses “chefs” quand bien même les erreurs qu’ils auraient commises sont avérées. Je l’ai rencontré dans l’Église catholique lors de mon enquête, à cause de la prégnance de la hiérarchie dans sa structure. Dans le protestantisme, le cléricalisme existe aussi même s’il est moins évident. On peut le retrouver à travers des “allégeances” qui cohabitent. Dans les syndicats, les partis politiques, les associations de quartier… Cela s’appelle autrement mais c’est le même ressort humain et le dénoncer, c’est s’exposer à être exclu du groupe. »

J’y vois la protection de la hiérarchie et de ses “chefs” quand bien même les erreurs qu’ils auraient commises sont avérées. 
– Linda Caille, auteure de « Les Cathos »

Interrogée sur la lutte contre le cléricalisme au sein des instituts religieux, Véronique Margron reconnaît que le mot est peu évocateur pour des congrégations où les religieux sont des frères sans devenir prêtres ou pour des religieuses. « Pour moi, travailler sur le cléricalisme, dans la vie religieuse, demandera de redéfinir les termes, d’élargir la discussion pour inclure un questionnement pour chacun de nous, souligne la présidente de la Corref (Conférence des religieux et religieuses de France). C’est en ce sens que lors d’une prochaine journée destinée aux responsables d’instituts, au cours de 2019, nous allons axer notre travail sur les dérives d’autorité afin de rendre compte du lien avec les abus sexuels. C’est, pour partie au moins, de ces dérives que découle le cléricalisme. »

Michel Cool, éditeur chez Salvator et ancien rédacteur en chef de La Vie, préfère quant à lui une « réponse à la Prévert »: « Le cléricalisme est de droite et de gauche, il est masculin et féminin, il est religieux et sécularisé, il est bête et méchant. » Il le retrouve, lui aussi, hors des murs des églises : « On voit bien se développer, en particulier dans les sphères politique et médiatique, une forme de magistère clérical, prolixe en discours péremptoires. »

Le cléricalisme est une pathologie, une boursouflure du pouvoir d’un seul ou d’une corporation.
– Michel Cool, éditeur chez Salvator

Tous se retrouvent pourtant sur l’implication du pouvoir : « Le cléricalisme est une pathologie, une boursouflure du pouvoir d’un seul ou d’une corporation, continue Michel Cool. Il est une machine à fabriquer des potentats et des esclaves, les uns se nourrissant des autres. » Le journaliste, qui vient de publier Paul VI prophète. Dix gestes qui ont marqué l’histoire (Salvator), reconnaît que ce concept n’est pas neuf : « J’ai retrouvé une lettre de Paul VI envoyé à un de ses proches à la fin des années 1920, alors qu’il venait d’arriver à la Curie romaine. Il se disait épouvanté par ce qu’il appelait les “corbeaux noirs”, ces clercs qui venaient faire carrière au Vatican, à la faveur d’un système clanique de cooptation qui continue, si j’entends bien le pape François, d’empoisonner la situation. On constate aujourd’hui que, faute d’avoir poursuivi la logique réformatrice conciliaire – dont le processus s’est grippé dans les années 1980–, on va devoir décléricaliser dans la douleur et former à marche forcée des clercs et laïcs, à l’autocritique, au discernement et au sens des responsabilités. C’est le seul chemin vers la conversion personnelle et collective. »

Pour Laurent Landete, ancien modérateur de la Communauté de l’Emmanuelet auteur deDieu fait toutes choses nouvelles(Éd. Emmanuel), le cléricalisme « est une forme de singerie de l’exercice du pouvoir tel qu’il se vit dans le monde païen : de manière démesurée » . « Par ailleurs, cet exercice excessif du pouvoir clérical peut se manifester parfois par une compensation des sacrifices consentis, comme le célibat : on se justifie alors en croyant – souvent inconsciemment – qu’on va se déployer autrement, en abusant de son autorité, par exemple. Mais cela écrase et revient à se servir plutôt qu’à servir, ajoute le nouveau membre du dicastère pour les Laïcs, la Famille et la Vie à Rome. Ces excès en appellent forcément d’autres qui leur sont opposés : des désirs de “laïcocratie”, notamment. Il serait pourtant malsain de croire qu’après “le temps des clercs” advienne “le temps des laïcs”. »

Car il ne faut pas oublier, précise-t-il, que « les gens ont le pouvoir qu’on leur donne » : « Il y a parfois, de la part des fidèles, une manière de sacraliser le prêtre. On donne alors un sens disproportionné à l’état clérical, on ne voit plus la personne chargée d’un sacerdoce mais la fonction. Et l’homme derrière l’aube n’est plus vu comme un frère. »

Nous sommes invités aujourd’hui à redécouvrir un aspect prophétique de Vatican II : l’ecclésiologie de communion.
– Laurent Landete, membre du dicastère pour les Laïcs, la Famille et la Vie

Mais cet ancien responsable d’une communauté nouvellede douze mille membres ne pense pas pour autant qu’il faille casser toute la structure ou renoncer au célibat sacerdotal : « L’autorité c’est faire grandir, participer à la croissance d’un groupe ou d’une personne. Elle est nécessaire, mais elle a besoin d’une collaboration missionnaire des clercs et des laïcs, chacun selon sa vocation spécifique. Je crois en effet que nous sommes invités aujourd’hui à redécouvrir un aspect prophétique de Vatican II : l’ecclésiologie de communion. Là est la clé : dans une communion entre prêtre et laïc, dans une complémentarité et non dans la revanche. Car nous sommes tous responsables de la manière dont les prêtres – et toutes personnes – exercent une autorité. »

Le père Cédric Burgun va plus loin : « Si le cléricalisme est certes une déviance de l’autorité sacerdotale, je ne crois pas que le pape appelle à se débarrasser de toute autorité sacerdotale, estime le vice-doyen de faculté de droit canonique de l’Institut catholique de Paris. J’entends dans la mise en cause du pape, et ce depuis le début de son pontificat, non pas qu’il y ait trop d’autorité mais un manque de celle-ci. Plus nous reconnaitrons le père chez le prêtre, plus nous respecterons sa juste place, qui n’est pas celle d’un être tout-puissant mais qui n’est pas non plus celle d’un frère relevant uniquement d’une relation affective. La juste distance avec le prêtre – ce qui ne veut pas dire éloignement – peut permettre de retrouver une juste paternité. »

J’entends dans la mise en cause du pape non pas qu’il y ait trop d’autorité mais un manque de celle-ci.
– Cédric Burgun, canoniste

Une piste pour lutter contre le cléricalisme « avec justesse » serait aussi, comme le préconise Michel Cool, que chacun travaille à l’ouverture de soi : « Le cléricalisme est le symptôme d’un être humain ou d’un corps social se repliant, se refusant à penser et agir en conscience, préférant s’en remettre complètement à une autorité. Il nous faut retrouver notre liberté spirituelle, indispensable à chacun.»